3. 23 juin 2017

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Telle était la routine. Cet ensemble de faits et gestes, toujours contrôlés, toujours observés, toujours sous surveillance.

Un aller-retour de la chambre d'hosto à ce qui devrait être une salle de confession. Si l'on oubliait les passages au réfectoire commun.
Cette immense salle qu'elle détestait.
Cette salle bruyante.
Cette salle monstrueuse, remplie de bavards et d'êtres aux langues bien pendues.

En boule dans son lit, sous cette couverture blanche, comme la neige douce et pourtant glacée qui recouvrait le sol de gravier de sa vieille demeure familiale. Au dehors de cette maison chaleureuse, celle où grand-mère préparait ses délectables plats chauds, et où on parlait de Noël en hiver.

La délaissée restait inlassablement silencieuse. Mais en vérité, elle s'en lassait, mais personne ne le savait. Personne ne la connaissait vraiment, derrière ce silence si opaque, si tranchant lorsque l'on souhaitait s'approcher de trop près.
Ils ont abandonné.
Ils l'ont abandonné.
Ils ont lâché l'affaire, jeté l'éponge.
Alors qu'ils se prétendaient professionnels, "les mieux placés pour l'aider", rabachaient ils à tort et à travers, comme on essorerait sans cesse une vieille éponge à même l'eau.

Elle regardait par la fenêtre.
Le soleil se montrait peu à peu, faisant fuir ce grassouillet de mendiant bossu qu'était le soir. Il l'avait fait fuir. . . Comme toujours. Mais elle, ne pouvait pas fuir. Ni cet endroit, ni son corps.

Telle était la routine.
La routine lassante.
La routine qu'on engrainait sans vraiment se soucier du reste. Enfin, ce n'était pas tout à fait ça.
On imposait la routine.
Comme ce poids encombrant.
Cette contrainte pour à peine survivre.
Et Solène s'y pliait.
Un peu.
À la limite de son âme absente.
À la limite d'elle même.

Elle ne pleurait pas. Dans son lit. Non, elle était juste en boule, et elle attendait ce qui n'arrivera sans doute jamais. Elle ne savait pas ce qu'elle attendait, mais c'était quelque chose d'inaccessible, c'était tout ce qu'elle en savait. Fermait les yeux, pensait, rejoignit sa bulle oubliée, celle que les autres ont éclaté sans la prévenir, la faisant sursauter et l'en ayant éjectée contre son gré. Son petit monde si grand d'autrefois. . .

Ses cheveux blonds, sa non-frange, son vieux pyjama non-repassé aux motifs simples, de simples ronds bleus et gris sur un fond entièrement blanc, et ses yeux chocolats. Banale. Pourtant là. Pourtant dans un lit d'hôpital pour troubles du comportement, sans trop savoir ce qu'elle avait. Personne ne le savait.
Enfin, elle avait quand même sa banalité, et son silence comme peluche. Ce genre de peluche que les enfants ne lâchent jamais, que les enfants emmènent partout avec eux, et ces journaux intimes tout doux qui connaissent tout d'eux, même leurs plus grands secrets.

Vision perdue, piégée dans la vitre, elle cru voir le reflet d'une jeune fille à l'intérieur, piégé entre les couches de verres de la fenêtre verrouillée. Une jeune fille, blonde et sans frange. . . Elle était vide d'émotions. Et cette vision d'elle même, Solène ne la supporta pas bien longtemps, si bien qu'elle quitta le reflet du regard.

Mais le calme habituel fut rapidement brisé, envoyé au néant. Néant qu'elle aurait préféré sans hésiter. La porte blanche, et imposante, s'ouvrit, en grinçant légèrement contre le sol. Pourtant, ce n'était pas l'heure quotidienne pour changer les draps ou encore vérifier l'état des patients. Tous les doutes ou presque s'évaporèrent alors lorsqu'elle vit l'infirmière entrer avec un lit sur roulettes. Un lit des plus simples, ici. Tous les patients ont le même modèle, sauf contre-indication spécifique. Le lit était vide. Mais la blonde n'eut pas à longtemps songer pour comprendre ce qui allait advenir de son calme et de sa chambre silencieuse.

"Tu vas avoir un nouveau colocataire ! Tu es contente Solène ?"

C'était Madame Dubrin qui lui annonçait la nouvelle. Une femme relativement âgée, dont les aptitudes commençaient à donner raison d'elle. Elle approchait de la retraite, avec ses cinquante trois ans à son valeureux compteur. Peu de cheveux sur la tête déjà, dos parfois douloureux, elle était un peu le cliché de la vieille femme aimable. Un peu comme la grand mère de la patiente muette. Mais elle restait une femme aimable, ayant constamment la bienvenue ici. Elle avait déjà prit l'habitude du non-mot de la jeune adolescente. Elle n'insistait que rarement à obtenir des réponses, ce qui changeait des autres soignants de cet hôpital.

Mais malgré tout ça, la nouvelle ne fit réagir aucunement la parole de l'absente.

"Ça te fera de la compagnie ! Un ami, mets y un peu d'entrain, au moins un sourire ?"
Tenta l'infirmière désespèremment.

Et la blonde laissa un petit sourire se frayer un chemin jusqu'à son visage porcelaine. Par obéissance, ou pour qu'on lui laisse un peu la paix. . . Un sourire forcé, sur un visage qui ne connaissait que trop peu l'extérieur en ces tristes temps.

Mais qu'y pouvions nous ?
La vie en hôpital était loin d'être un rêve.
Mais elle a l'avantage d'être sécurisée.
Une vie où tout est programmé à l'avance, où le choix est un fantasme et l'erreur un fait qui en devient surnaturel.
La vie en hôpital était loin d'être un rêve.
Mais elle ne dépassait pas la frontière du cauchemar. Trop erroné. Trop impétueux.

La vieille dame fit glisser le lit à roulettes jusqu'au mur. Elle déplia les draps ainsi que la couette bien ordonnée sur le bord du matelas mobile, puis l'arrangea de manière correcte et respectable.
Madame Dubrin était une personne organisée et relativement perfectionniste. Une femme dont le soutien était précieux et les conseils ornés d'or.

Mais même si cette femme devenait un véritable bijou dont la poussière du temps trouvait bon refuge, Solène ne lui faisait pas de traitement de faveur. Ce qui, pourtant, ne la médusait pas.

"Fais moi au moins le plaisir de bien l'accueillir. Et ça te fera du bien aussi, d'avoir quelqu'un avec toi."

Conseilla l'aînée en tapotant grossièrement sur les draps, afin d'en ôter les plis trop tape à l'oeil. Le regard circulaire un temps, la vieille femme se mit alors à fixer l'adolescente, après sa tâche. Elle espérait peut être une réponse.
Sûrement mal à l'aise, la cible de toute cette attention hocha la tête distinctement, de manière à montrer son accord.

"Bien. Si tu as besoin, tu sais comment m'appeler."

Elle ne s'attendait pas vraiment à une quelconque réaction de sa part. C'est donc avec un petit sourire bienveillant en son égard que la future retraitée quitta la chambre.

Solène était de nouveau seule.
Mais elle le savait, ce serait de courte durée.
Ses prunelles chocolats jouaient les vagabondes dans cet endroit trop familier. Puis elles se posèrent sur le lit vide à environ deux mètres d'elle.

"Un ami".
Cela faisait bien longtemps qu'elle avait perdu la signification de ce mot dans les recoins de son cœur métallique. Sa mémoire s'en souvenait encore. Mais son cœur semblait encore sensible, ou au contraire, trop forgé, pour ré-apprendre cette définition subjective.

Alors l'arrivée de l'individu, elle le savait, allait forcément jouer un rôle dans toute son histoire. Remuer le passé au présent, et mener sa vie vers un futur peut être différent. Le problème : elle ne le voulait en aucun cas.

SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant