Gouffre - 18/08/2020

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Il est 00:47

Mes yeux sont secs

Ma gorge est nouée mais rien ne vient

Mes doigts sont engourdis, peinent à écrire

Mon cerveau s'épuise à trouver la force de ces quelques mots

Ma poitrine se soulève comme pour soupirer

Ma bouche s'ouvre comme pour bailler

Mon orage fini par se taire

Se terrer



Je suis fatigué·e mais ne dors pas

Comme un somnambule en bout de course je pianote encore sur mon clavier frileux

Je m'écroule un peu plus à chaque verbe

Mais ne fait rien

Comme suspendu·e dans un entre-deux-temps-perdus

Je ne fais rien pour faire s'apaiser le dedans

La poussière qui ne s'arrête pas de tomber

Soufflée par un vent venu de partout ailleurs



J'écris au hasard des douleurs qui murmurent sous ma peau

Hasard de ces blessures recouvertes de nuit

Qu'on retrouve au détour d'un chemin menant vers plus loin

Je devrais aller dormir mais non

Je n'irai pas

Je n'ai qu'à me retourner et plonger dans l'océan de mes draps

Mon corps-béton achève de s'immobiliser devant l'écran de solitude

Au bord du gouffre social dans lequel je plane tranquillement

Chaque jour un peu plus bas

Un peu plus profond



Je traine mes ailes trop grandes dans l'obscurité de mes fantasmes

Je dégoupille des grenades que je garde dans mes mains effacées

J'écris au hasard de ces mots qui me passent sous la mâchoire

Ces mots que je peux mâcher mâcher mâcher

Et recracher

Tout ça servira de matière, qui sait

Un jour je parviendrai à retravailler mes textes

Pour le moment je me contente d'une silhouette

Forme vague premier jet base d'argile qu'il faut

Couper gratter recoller vernir casser recommencer



J'ai perdu l'espoir de la reconnaissance

Je suis trop paresseux peut-être trop lent pas assez volontaire

J'ai vu des gens écrire

Pour de vrai écrire passer sa vie à

Je suis découragé·e par l'absence de retours mais

Les retours me déplaisent

J'ai besoin d'être encouragé·e

Les critiques même les meilleures me sont un courant d'air brûlant

Dans l'intérieur de l'estomac



Ce soir je n'ai pas mangé

Je n'ai pas mangé, absorbé·e par le gouffre de mes pensées absurdes

Aucune nourriture n'a descendu mon œsophage

Aucun nutriment n'a parcouru mon intestin

Mon ventre est resté froid d'une non-digestion d'un non-repas

La peau me pèse sur la chaire comme

Si j'en étais responsable

A qui appartient cette drôle d'enveloppe à ravitailler trop souvent

Mon corps-esprit s'est encore une fois divisé en multiples éclats de verre

Mon corps-valise s'est empli d'objets qui ne partiront pas en voyage

Je m'évertue à ranger des choses irrationnelles dedans

Alors que je n'amène jamais rien d'autre

Qu'un sac à dos



C'est la fin déjà de ces lettres-lourdes balancées sur un bout de page

Comme jeter des pièces dans le puits des vœux

Cet argent que ramasse le·a gardien·ne du lieu, tandis que les volontés

Se dispersent dans les nuages du destin

Ce puits est en moi si profond que personne ne vient faire

Sonner et trébucher mes petits morceaux de métal

Peut-être qu'un dragon habite en bas

Sur un tas de blé

Peut-être est-ce son souffle brûlant qui me lacère la panse

Lorsque je dégringole

Dans les profondeurs

Du gouffre

Journal irrégulier d'un·e punk-poète non-binaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant