Introduction

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Avant de vous conter l'histoire de mon voyage autour du monde, il est important que d'expliquer ce qui m'a poussé à entreprendre une aventure aussi ambitieuse. Tout commence en 1690. Je suis née sous le nom de Blanche de Montmorency, fille unique de l'amiral Gustave de Montmorency. Je n'ai jamais connu ma mère, Elisabeth Orsini, morte à ma naissance. J'ai passé toute mon enfance dans une grande demeure au centre de Brest. La bâtisse était richement meublée mais c'est du jardin dont je me souviens le mieux. Un grand jardin à l'anglaise au centre duquel trônait une modeste fontaine. Ses parterres étaient composés d'une myriade de fleurs aux noms compliqués. Plus jeune je m'étais amusé à tous les apprendre, mais je crains de ne plus pouvoir m'en rappeler de la moitié. C'est William, notre vieux jardinier, qui me les avait fait découvrir. C'était un homme bourru mais il m'avait prise en affection et bien qu'il m'ait réprimandé à de multiples reprises pour avoir couru entre ses fleurs, j'ai passé beaucoup de bon temps en sa compagnie. Mon père n'était que très peu présent chez nous. C'est pour cette raison que je m'étais liée d'amitié avec nos domestiques.

Cependant malgré ses absences mon père m'offrait de beaux présents à chaque fois qu'il rentrait. C'est ainsi que je reçus mes marionnettes, mes poupées, mon carrosse mécanique ainsi qu'une réplique miniature de son vaisseau : L'aventurier. Ensuite nous jouions avec toute la journée. Bien plus que les cadeaux c'était ce moment que je préférais. J'étais très fière d'être sa fille. J'entendais régulièrement des éloges à son égard. Nombreux étaient ceux qui le qualifiaient de héro de la guerre contre les espagnols. Mais plus son prestige grandissait, moins je le voyais car il était devenu l'un des hommes de confiance du roi-soleil. Cependant mon cœur se remplissait toujours de fierté lorsque l'on venait me conter ses exploits et je me tenais droite lorsque je marchais à ses côtés, ce qui l'amusait beaucoup. Lorsqu'il était chez nous, il organisait de somptueuses réceptions. De nombreuses personnes se pressaient pour y être invitées. J'ai pu y rencontrer des nobles de tous les horizons. Nombreux étaient ceux qui tentaient de s'attirer les bonnes grâces de ma famille en sympathisant avec moi. Bien que je voyais clair dans leurs intentions cela m'amusait parfois de jouer à leur jeu. Mais ce que je préférais par dessus tout c'était d'observer les robes des invitées. Les jeunes prétendantes rivalisaient d'originalité pour charmer mon père. La ou certaines choisissaient des robes très classiques, d'autres portaient des costumes toujours plus affriolants aux teintes improbables. Je me rappelle particulièrement de l'extravagante marquise de Richebourg. Un jour elle était venue nous rendre visite dans une jolie tenue rose pastel couverte de rubans violets. Pour couronner le tout elle avait choisi d'ornementer sa poitrine d'une grosse fleur violette en tissu. Ce jour-là elle fut particulièrement ridicule, et nous avons bien ri. Malgré ma relative solitude familiale je dois dire que j'ai vécu une enfance heureuse.

Un beau jour de l'année de mes seize ans, mon père s'en revint après plus d'un an d'absence. Mais cette fois ci il ne ramena rien. Ni présent à mon adresse, ni gloire à la sienne. Il ne prit même pas la peine de m'adresser la parole et s'enferma dans son cabinet pour plusieurs jours. Je finis par apprendre qu'il était parti pour une des expéditions les plus ambitieuses et les plus coûteuses qui aient été faites. Entièrement financée par la couronne. Malheureusement suite à une erreur dans ses calculs, il s'était trompé de route et avait dû rentrer plus tôt en France, complètement bredouille. A la suite de cet échec cuisant, il était tombé en disgrâce auprès du roi.

Les jours étaient passés sans que je ne vois mon père. Notre gouvernante déposait régulièrement un plateau de nourriture devant son bureau et il lui rendait vide le soir. Un jour je suis resté devant sa porte, attendant qu'il récupère son plateau pour l'apercevoir et peut être lui parler, le raisonner. Cependant je ne reconnu pas celui qui ouvrit la porte. C'était un homme maladif au teint blafard. Mon père se laissait dépérir. J'ai bien tenté de l'interpeller mais il s'était contenté d'un sourire et d'un mouvement de la main avant de refermer la porte. J'ai alors commencé à nourrir une haine farouche envers le roi qui m'avait volé mon père.

Quelques semaines plus tard on m'annonça que je devais me marier. Un homme arriva à la maison. La première chose qui me surprit fut son âge. Il devait avoir une cinquantaine d'années. Je n'avais que 17 ans et j'ai protesté pendant de longs jours mais rien ne pouvait y faire. La décision de mon père était prise et je me devais d'honorer son choix.C'était un homme riche et d'excellente réputation. Nos fiançailles furent organisées en quelques semaines seulement. La seule chose qui me plaisait dans cette situation était de pouvoir choisir la plus belle robe pour ce mariage. Je passai des heures chez les plus grands couturiers de Paris pour faire mon choix et oublier que l'homme que j'épousais était plus âgé que mon propre père.

Ma plus grande tristesse fut de voir que mon père ne me verrait jamais dans cette robe en m'emmenant sur l'autel. Il s'était donné la mort la veille, dans sa baignoire. Il avait demandé à ce que je ne sois tenue au courant de son suicide qu'après la cérémonie. J'ai alors pleuré pendant de longs jours.

Finalement j'ai déménagé de chez mon père pour vivre chez mon époux. Il m'a fallu plusieurs mois avant de commencer à faire mon deuil et de pouvoir retourner dans la maison de mon enfance. La première chose que je fit fut de rentrer dans son bureau. C'était la première fois de ma vie que j'y mettais les pieds. J'ai alors découvert tous les outils de travail de mon père. Il y avait tout d'abord une immense bibliothèque qui couvrait les murs. Au centre se trouvait un bureau sur lequel était déposé un globe,un livre ouvert, un tas de cartes, un encrier et une plume. Tout était disposé comme s'il venait de sortir à l'instant. Je n'ai pu retenir les quelques larmes qu'il me restait. En avançant de quelques pas et en me penchant au dessus de son bureau, j'ai découvert un étrange ouvrage. Mon père avait écrit sur les premières pages, les autres étaient encore vierges. Une dizaine d'autres avaient été arrachées et gisaient sur le sol à coté du meuble. J'ai refermé le manuscrit et j'ai lu le titre : "Mémoires en Mer" par Gustave de Montmorency. J'ai passé le reste de mon après midi à déchiffrer les notes de mon père. Il y parlait de son dernier voyage, un voyage vers une grande île qu'avait observé Abel Tasman des années auparavant mais que personne n'avait jamais foulé. Il y expliquait tous les rouages et la préparation d'une telle expédition. Mon père cherchait à faire de ce roman son chant du cygne. juste avant les pages blanches il y contait son dernier voyage. Ses vaisseaux avaient été surpris dans une tempête et étaient partis à la dérive loin de l'Australie et de la mystérieuse île. Ils avaient donc été obligés de rentrer en France. Le reste était un assemblage de feuilles arrachées. Pendant les semaines qui ont précédées sa mort il avait donc tenté d'écrire la suite de son roman mais ne l'avait jamais terminé.

C'est après avoir feuilleté la moindre de ses notes que j'ai pris ma décision. Moi Blanche de Montmorency, fille de Gustave de Montmorency, je participerai à une nouvelle expédition et écrirai ainsi la fin du roman de mon père.

Il ne me fallu que quelques semaines pour persuader mon époux de financer ce voyage. Je suis bien honteuse mais je dois avouer que je dû faire un peu de chantage pour qu'il débourse la somme nécessaire. Je lui ai dit que je ne m'abandonnerai à lui qu'après avoir fait le deuil de mon père et que ce voyage y était nécessaire. C'est un homme bon et amoureux. Il a accepté cette honteuse proposition. 

Le voyage de BlancheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant