Seis

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Le temps est orageux ; de gros nuages sombres obscurcissent les rues de Southfield. Je me suis décidé à aller m'excuser auprès de Johanna et Rodrigo pour mon comportement de l'autre fois. Je n'aurai pas du leur parler comme ça. Ils n'y sont pour rien. Johanna à préférer m'inviter à manger et a dit qu'elle ne m'en voulait pas et qu'elle comprenait ma réaction. Rodrigo, lui, a simplement dit que ça n'avait aucune importance. Au moment de sortir de table, j'aide Johanna a débarrassé les assiettes et les plats.

-        Quand comptes-tu fêter tes 21 ans ? me demande-t-elle.

-        Je ne sais pas encore. Je pense que je ne ferai pas de fête. Simplement la famille et les amis proches. Je te tiendrai au courant pour la date, Rodrigo et toi pourrez venir.

-        Ça serai avec un grand plaisir, mi hija.

Je marque une pause.

-        Ça fait longtemps que tu ne m'avais plus appelé comme ça.

Son visage s'adoucit et elle me prend doucement dans ses bras.

-        Ecoute Lia. Même si tu n'es plus avec Alejo, tu restes comme une fille pour moi. C'est la même chose pour Rodrigo. Tu es la meilleure amie de Dario, et je sais que tu ne veux pas entendre ça, mais tu es celle qui a sauvé notre Alejo. Je t'en suis éternellement reconnaissante.

-        Merci Johanna.

Elle m'accompagne jusqu'à la porte d'entrée, une main sur mon épaule.

-        J'espère que ta mère et ton beau-père vont bien, ça fait longtemps que je ne les ai pas vu.

-        Oui. Merci de demander.

Je dépose un baiser sur sa joue. Elle ne me le rends pas. Étrange. Un grand sourire vint soudain étirer les traits de son beau visage au moment où j'allais lui tourner le dos.

-        Te dejo solo (Je te laisse tranquille).

Je ne me rappelle pas avoir posé une nouvelle question ni avoir formulé une quelconque requête. Johanna fait un signe de tête derrière moi, puis fait demi-tour et rentre dans sa maison, sans un mot. Elle me laisse en plan. Dans la totale incompréhension, je fais volte-face pour partir. Mais le temps semble s'arrêter autour de moi. Je ne peux plus bouger, comme paralysée. C'est un piège. Johanna m'a tendu un piège.

Il est là. Comme ça. Après une année entière. Alejo se tient devant moi, en chair et en os. Moi qui l'avais tant de fois imaginé revenir. Il est là. Un jean, un t-shirt blanc, une barbe de trois jours, des cheveux beaucoup plus long que dans mon souvenir. Presque aussi long que ceux de Dario. Des boucles brunes lui tombent au niveau du front. Il a de nouveaux tatouages sur les avant-bras, que je remarque tout de suite. Celui qui autrefois été tout pour moi, celui qui m'a sauvé la vie, celui pour qui je me suis pris deux balles. Je porte instinctivement la main sur les cicatrices de mon corps meurtri et fais quelques pas en arrière. Non. Non, non, non. Je ne voulais plus le voir, je voulais qu'il disparaisse pour de bon de ma vie. Je voulais l'avoir oublié pour de bon, ne plus ressentir ce flot de sentiments dès qu'il rentre dans mon champ de vision. Mais le voilà. Il fait un pas dans ma direction, un sourire discret, timide peut-être, aux lèvres. Ses lèvres que je rêvais d'embrasser à nouveau. Comme au ralenti, elle s'ouvre pour prononcer un mot. Pas n'importe quel mot.

-        Lia.

Mon prénom sonne plus que bizarre dans sa bouche. Sa voix est douce, différente de mon souvenir. Je recule et fais plusieurs pas en arrière, encore. Il ne peut pas être devant moi. Pas après un an. Pas après tous mes efforts pour essayer de tourner la page. Je cligne des yeux, frénétiquement. Non, il ne peut pas être là. Au moment où je croise son regard, le temps semble s'arrêter. Son regard est étincelant, remplis de joie. Mes yeux, eux, brûlent de colère, d'une colère noire, terrible. Mais aussi de douleur. J'essaye, en vain, de digérer le fait qu'Alejo se tienne à un mètre de moi. Il est revenu. Qu'il ose prononcer mon prénom, comme si de rien n'était, est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Un vase rempli d'une année de colère et de souffrance qui se brise d'un coup.

Ma main s'écrase avec force sur la joue d'Alejo. La tête légèrement tournée sur le côté, le garçon devant moi ferme les yeux et pousse un long soupir. Lentement, Alejo porte la main à sa joue. Il a l'air de ne pas comprendre ma réaction. Alors, il finit par planter son regard dans le mien et dire :

-        Est-ce que je dois comprendre que tu n'es pas contente de me revoir ?

Ma main s'écrase sur son autre joue, dans un claquement sinistre. Cette fois, elle lui laisse une trace écarlate. Il fronce les sourcils et crache, furieux :

-        Tu vas arrêter à la fin ?

-        Qu'est-ce que tu fous là Alejo ?

Son visage s'adoucit peu à peu, contrairement au mien. Je sens la fureur grandir en moi.

-        Je voulais te voir.

Je pars d'un grand rire.

-        Ah ! Tu t'es dit que ce serait cool de me rendre visite pendant les vacances d'été, c'est ça ? Tu sais quoi, vas te faire foutre !

-        Mais, Lia, je ne comprends rien. Je suis revenu, je...

-        Après un an ! Après un an, Alejo...

Ne pleure pas, ne pleure pas, ne pleure pas.

-        Pourquoi tu es là ? La vraie raison ?

-        C'est la vraie raison. Lia, écoute... Je ne peux pas me passer de toi plus longtemps, je... Je suis revenue pour toi.

-        Va te faire foutre, Alejo.

Je fais demi-tour. Avant que je puisse faire trois pas, une main puissante encercle mon poignet.

-        Lâche-moi !

Je suis sûr qu'a ce moment-là, je fais peur à voir. Mais je m'en fiche. Tout ce que je veux, c'est partir loin de lui. Partir de Southfield. Ne plus jamais le voir, comme je l'avais prévu, comme je m'étais préparé. Je le fusille du regard et lui donne un coup de coude dans le bras pour me dégager. Il ne cille même pas.

-        Je suis désolé, Lia. Mais je suis là maintenant. Je suis de retour à Southfield, pour toi.

« Désolé » me semble faible, comparé à tout ce qu'il m'a fait. J'en rirais presque à nouveau, si je n'étais pas sur le point d'éclater en sanglots. J'enrage à chaque seconde.

-        Tu penses que tu peux partir et revenir dans ma vie comme ça ? Non. Pas du tout. Tu es parti. Tu m'as abandonné. Tu peux pas juste dire « désolé » et espérer que ça arrange tout. C'est fini. Tu n'es plus rien pour moi. Je suis passé à autre chose. Maintenant, ne m'approche plus jamais.

Alejo ne dit rien. La culpabilité le ronge, ainsi que les remords, ça se voit. Je lui tourne le dos, furieuse. Mais ce n'est pas suffisant. Je veux qu'il souffre. Qu'il souffre autant que moi.

-        Une fois, tu m'as dit que tu ne me méritais pas, que tu ne serais jamais assez bien pour moi. Et bien tu avais raison. Et aujourd'hui, tu ne vaux plus la peine que je me batte.

Je le plante là, et pars en courant. Je n'avais même pas remarqué qu'il s'était mis àpleuvoir. Heureusement, j'ai envie de dire. Mes larmes se mêlent à la pluie.

Los Salvadores, tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant