Uno

511 34 4
                                        

Le bruit autour de moi me rappelle que je ne suis pas seule, que nous sommes le 4 juillet, jour de la fête nationale. Des cris, des rires, le bruit de la fête. Des gens heureux, qui dansent et sautent dans tous les sens. La température glacial de l'océan ne m'empêche pas d'y entrer jusqu'aux chevilles et d'avancer, le regard  fixé sur l'infini qui s'étale devant moi. Santa Monica. Voilà presque 1 an que je ne suis pas revenu à Los Angeles. Voilà presque un an que je travaille d'arrache-pied à Sacramento dans ma fac de droit. Un an sans une seule nouvelle de lui. Un cri de joie me fait tourner la tête, me tirant de mes pensées. Nora et Rachel arrivent en trottinant derrière moi, les bras chargés de glaces. Elles arborent toutes les deux un bandana aux couleurs des Etats-Unis sur le front. Je baisse les yeux sur le mien, que j'ai noué à mon poignet. Les filles stoppent leurs courses sur le sable, en attendant que je sorte de l'eau. Les revoir me fait vraiment plaisir.

-        Tiens Lia, voilà pour toi !

Nora me tend les sucreries avec un sourire complice. Les minuscules boules de couleurs du feu d'artifice de la ville voisine arrivent à remplir mes amies de joie. Rachel pose une main sur mon épaule.

-        Ça fait plaisir de te voir ici. Tu n'es pas rentré une seule fois cette année.

Ses paroles sonnent comme un reproche, mais je ne peux pas lui en vouloir. Je ne peux en vouloir à personne. C'est moi qui ai été trop bête pour donner mon cœur à quelqu'un comme Alejo. Une boule se forme dans ma gorge et je regrette aussitôt de penser à lui.

-        J'ai eu beaucoup de travail, répondis-je.

Ce n'est pas une excuse. A vrai dire, je n'en ai pas. Je n'avais pas beaucoup parlé ce soir, et je n'arrivais toujours pas à faire semblant d'aller bien, d'être heureuse comme les autres. Revenir à Los Angeles met mes nerfs à vif. Ma mère et James étaient passés plusieurs fois à Sacramento me rendre visite, ainsi que mon père. Olivia et Dario étaient aussi venus. Mais, depuis la fin du lycée, c'était compliqué entre Nora, Rachel et moi. Rachel était parti à Chicago et Nora à Seattle. Les filles s'étaient vues plusieurs fois, mais je n'avais pas pu les rejoindre. La vérité était que je n'avais pas accepté une seule de leur invitation. Me mettre dans le travail à 100% m'empêchait de trop penser. Nous étions toutes rentrées pour cet été, afin de nous remémorer un peu les bons moments qu'on avait passé à Santa Monica pendant notre enfance et nos années lycée. Et maintenant que nous sommes toutes les trois de retour, nous avons jusqu'à septembre pour traîner ensemble. Même si, en apparence, rien n'avait vraiment changé, ce n'était pas ce que tout le monde pensait de moi. Voilà deux semaines que j'étais rentrée à Santa Monica, et tout le quartier était déjà au courant. Je suis Lia, la fille d'un ancien détenu, petite bourgeoise de Santa Monica, qui s'était fait quitter par un ancien chef de gang après s'être pris deux balles dans le corps. Et même si mes amis et ma famille continuent à faire comme si tout va bien, moi, je ne peux pas. Les gens me regardent avec pitié, comme si j'étais une petite chose fragile, ou complètement timbré d'avoir donné mon cœur à un chef de gang. J'ai honte de l'avouer, mais ces gens n'ont pas complètement tort. Quand Alejo est parti, me laissant à l'hôpital, j'avais passé 6 mois à le chercher partout. Il avait débarrassé ses affaires de sa maison de Southfield, et même celle de son appartement à San Francisco. Il s'était volatilisé. Ni ses parents, ni Dario, ne savaient où il était parti. Après tout, c'était ce qu'il voulait. Protéger les gens qu'ils aiment. Moi, j'appelle ça un abandon. Avec l'aide de Julio, j'avais arpenté toute la Californie de fond en comble. A plusieurs reprises, on pensait toucher au but, mais on ne la jamais trouvé. Julio a décidé d'arrêter les recherches au bout de 4 mois. Un nouveau chef de gang, digne successeur de Fiftwood, a repris les rênes de « Fifteenth Street », nouvellement baptisé «Vengador ». Southfield est donc de nouveau plongé dans une interminable guerre de gang, bien que celle-ci soit bien moins sanglante que celle qui opposait Alejo et Fiftwood. Julio fait de son mieux pour protéger le quartier, mais il ne vaut pas Alejo. Même lui le reconnaît. Les Salvadores ont plusieurs fois refusé son autorité. Mon père et Rodrigo avaient dû intervenir. A partir de ce moment là, j'avais arrêté de rechercher Alejo. J'avais définitivement tourné la page. C'était fini. J'ai malgré tout déposé mes bagages à Southfield, le temps de l'été, pour vivre avec mon père. Il souffrait beaucoup de la solitude, même s'il ne le montrait pas forcément. Voilà, en gros, toute la pagaille qu'Alejo a laissée derrière lui. Je détourne les yeux de l'horizon et des vagues, et fixe mon regard sur l'énorme grande roue, avec ses milliers de LED de couleurs rouge, bleue et blanche. Comme chaque année, la fête est magnifique. La bonne humeur règne partout. Nora et Rachel arborent un large sourire. Je n'étais pas sûr qu'elle me pardonne mon comportement de cette année, pourtant, elles ne m'ont en pas tenu rigueur. J'avais été insupportable, je le reconnais. J'en voulais au monde entier, et à moi en particulier. Mais d'après mes deux amies, tout ça, c'était fini. On allait profiter de notre été, et rien ni personne ne nous en empêcherai. J'affiche un sourire sur mon visage, plus forcé que je ne l'aurai voulu et laisse Rachel passer son bras autour de mes épaules. Une fois nos Sundae finis, nous trouvons une poubelle, et rebroussons chemin.

Los Salvadores, tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant