SOUVENIRS DE BABEL

III

Les traits de Thorn se distendirent sous la surprise. Confus, il chercha sa montre dans la poche de sa redingote, avant de s'apercevoir qu'il ne l'avait plus. Et pour cause : c'était Ophélie qui la gardait au chaud près d'elle.
S'avançant vers lui, elle sortit la montre de sa poche de manteau et la lui tendit. Thorn eut cette convulsion des lèvres, qu'Ophélie pouvait qualifier de sourire chez lui.
Il s'approcha d'elle encore plus mais, au lieu de lui reprendre la montre, il la serra fort contre lui, comme s'il avait peur de la perdre. Ophélie, tout en pensant que la situation lui paraissait familière, se blottit contre lui.
Les deux se décalèrent ensuite, puis Thorn plongea son visage vers elle et déposa un baiser maladroit sur ses lèvres.

Thorn s'étonna lui-même de son entreprise : la dernière fois qu'il avait tenté un geste pareil, Ophélie lui avait envoyé une gifle monumentale. Or là, la gifle tant redoutée ne vint jamais. Au contraire, la jeune Animiste lui rendît avec une ardeur qui la fit rougir intérieurement.

Thorn se sépara d'elle à regret, lorsqu'il s'aperçut que le grand-oncle et la marraine de sa fiancée- non, de son épouse (comme cela lui était étrange de la considérer ainsi!)- les regardaient incrédules. La liseuse, voyant le brusque changement de comportement de son mari, tenta de croiser son regard, mais celui-ci portait ses yeux au-dessus d'elle. En premier lieu, elle ne comprit pas mais se rappela, par la suite, qu'elle avait effectivement emmené avec elle son parrain et sa marraine. La jeune Animiste se retourna et croisa la figure complètement perdue de la tante Roseline et celle oscillant entre ahurissement et ravissement de l'Archiviste.

- Heureusement que je n'appartiens pas au clan de la Toile, lâcha Ophélie dont le teint s'enflammait de plus en plus.
- Oui, cela nous épargne bien des tracas, déclara son époux d'un ton qu'il voulait neutre.

Il perdit soudainement son air imperturbable, sentant sa jambe blessée se dérober sous lui. Ophélie lui offrit immédiatement son épaule en guise de soutien. Il la remercia, d'une expression mêlant sourire et grimace, signe qu'il souffrait vraiment.

- Il serait peut-être temps de vous faire soigner, lui fit remarquer la jeune Animiste.
- Hmm, fit Thorn, trop concentré à oublier la douleur.
Amorçant le mouvement, elle passa devant son grand-oncle et sa tante à qui elle jeta un regard appuyé, parfaitement consciente qu'ils avaient tout vu de la scène précédente, tout de même intime. Ils emboîtèrent le pas à leur parente et son mari, sans dire quoi que ce soit.
Ophélie, de son côté, reporta son attention sur Thorn et l'aida à boiter jusqu'à la grande porte de l'Hôtel de Police. Là, les attendaient le chef de la police ainsi qu'un infirmier et une chaise roulante.
Le chef s'inclina légèrement devant Ophélie puis déclara qu'il avait pris la liberté d'appeler un infirmier afin de réduire la douleur de Monsieur l'Intendant. Ce à quoi Ophélie répondît qu'il avait bien fait. Elle le remercia puis accompagna Thorn, assis sur sa chaise raide comme un piquet et ce malgré le désagrément que lui causait sa jambe, à l'hôpital.

Lorsqu'ils arrivèrent à l'hôpital, une infirmière attribua une chambre à Thorn. Là, le chirurgien, l'othésiste et l'anesthésiste, les deux premiers natifs de Babel et l'autre de Séléné, l'attendaient. Ils lui annoncèrent que l'opération avait déjà été programmée pour demain, tôt le matin. L'othésiste prit les mesures de sa jambe pour son attelle et lui annonça qu'elle serait prête rapidement. Thorn acquiesça tout en s'asseyant difficilement sur le lit d'une propreté irréprochable. Ophélie voulut rester avec lui mais il lui assura qu'il irait bien et qu'il fallait qu'il se repose.
- Et puis, ajouta-il, Farouk vous attend.
- Très bien.
Elle lui pressa délicatement la main, se leva puis :
- Je serai là à votre réveil demain, dit-elle.
Elle partir ensuite vers le plus haut étage de la Tour où Farouk l'attendait effectivement.