Cela faisait maintenant deux jours que Thorn avait été libéré, deux jours qu'on lui avait posé sa nouvelle attelle et deux jours qu'Ophélie s'évertuait à échapper à sa famille et leurs questions insistantes sur ce qui s'était réellement passé vingt-quatre jours avant. Non pas que cela ne lui fut pas familier, puisque c'est ce qu'elle avait toujours fait!
Néanmoins, si elle avait, durant tout ce temps, prétexté vaquer à ses occupations de marraine digne de ce nom afin de soulager Bérénilde qui était en constant entretien avec ses avocats, maintenant que le procès était passé, elle ne pouvait plus trop reculer.
Ce jour-là, le troisième depuis le jugement, Ophélie était attablée à l'une des terrasses toutes désertes du cinquième étage de la Tour, la Jetée-Promenade, une tasse de café refroidissant entre ses mains gantées.
L'illusion de soleil perpétuel lui donnait chaud, aussi avait-elle retiré sa veste d'un léger bleu gris pastel, cette fois, ne restant qu'en jupe de la même couleur et en chemise blanche.
Sa famille et Bérénilde avaient été surpris de l'abandon de ses robes antiques et peu recherchées. Ophélie avait déclaré que ses robes n'étaient plus en adéquation avec sa fonction de Grande Liseuse Familiale. Ça c'était la version officielle. Ce qu'elle ne leur avait pas dit, c'était qu'un dieu polymorphe lui avait juré de garder un œil sur elle. La jeune femme, qui en avait fait part à Thorn, avait donc pris la décision de changer partiellement d'apparence.Perdue dans ses pensées, le nez plongé dans son café, elle ne vit pas sa sœur Agathe marcher vers elle, poings sur les hanches, ses bottillons blancs frappant le sol carrelé de la terrasse.
- Ophélie ! hurla l'Animiste dentellière d'une voix aiguë.
La liseuse releva son nez et croisa le regard noisette et courroucé de sa sœur. Elle sût dès ce moment que la confrontation était proche et qu'elle ne pourrait plus y échapper cette fois-ci.
- Nom d'une soupière, enfin te voilà ! vociféra Agathe. Je t'ai cherchée partout dans cette maudite Tour !
- J'étais là, fit sa sœur, laconiquement en désignant l'endroit.
- Ne m'interromps pas ! Il faut qu'on se parle toutes les deux.Ophélie soupira et murmura un « Très bien » résigné. Agathe la prit par le bras, la forçant à se lever. Elle l'entraîna quelques pas plus loin, dans le Jardin de la Jetée, puis se posta face à elle, les bras croisés, le regard dur. À l'inverse, le regard d'Ophélie était empli d'incompréhension.
- Je crois que tu nous dois des explications, déclara Agathe d'un ton accusateur.
Les prunelles chocolat de la liseuse se durcirent sous les verres de lunettes et ceux-ci s'assombrirent.- À quel sujet ? lança-t-elle.
À la tête que fit sa sœur Ophélie regretta aussitôt d'avoir parlé d'un ton acerbe.- Absolument tout, bougresse! explosa sa grande sœur. Cela fait un mois que tu nous évites, ne revenant dans ton manoir pour dormir ! À chaque fois que nous te voyons, tu nous donnes, je ne sais comment d'ailleurs, la migraine ! Si bien que toute la famille, surtout maman, est sur les nerfs!
La jeune femme encaissa sans broncher les reproches de son aînée. Mais celle-ci n'en avait pas terminé.
- Et que va dire la Rapporteuse? Par ton attitude déplorable, tu viens peut-être d'empêcher nos sœurs de faire de beaux mariages ! Que s'est-il passé Ophélie ? J'ai l'impression que tu n'es plus la même !
La susnommée ravala le « La faute à qui? » qu'elle s'apprêtait à balancer à la figure son aînée.
- S'il te plaît, la supplia celle-ci. Rejoins-nous maintenant et réponds à nos questions !
-Non, fit la brunette catégorique. Moins vous en saurez, mieux ce sera.Le regard de la dentellière se teinta d'incompréhension.
- Cet endroit est-il si horrible que cela?
- Je crois que ce qui se trame ici, dépasse tout entendement.
L'incompréhension se fit horreur.
- Vraiment?! Mais alors, qu'attendons-nous pour partir ?
- C'est ce que je vous dis depuis votre installation chez moi, répliqua placidement la liseuse. Vous devriez, en effet, partir le plus tôt possible.Cette dernière réplique glaça la femme rousse. Elle se figea soudainement, les yeux écarquillés, la bouche entrouverte dans une pâle imitation d'un masque de tragédie.
- Tu... tu rentres avec nous, bien sûr, se persuada-t-elle. Oui, évidemment...
Sa petite sœur acheva de balayer toutes ses certitudes chimériques, en lui donnant, à nouveau, un refus. La jeune femme rousse sembla tomber des nues :
- Comment ça « Non »? Tu as toujours voulu rester sur Anima !
- J'ai des choses à régler ici, je ne peux pas rentrer. Pas maintenant, en tout cas.
- Pourquoi sœurette ? Tu n'as aucun compte à rendre à cette arche ! De plus, tout le monde semble te détester, toi et tes mains, ici !Ophélie soupira mais ne répondît pas. Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle avait joué cette conversation dans sa tête, sans lui trouver une issue convenable pour les deux côtés. Elle avait besoin de plus de temps pour réfléchir à cela, de peaufiner sa stratégie, de la rendre convaincante afin que les Doyennes elles-mêmes ne débarquent au Pôle, créant ainsi un incident diplomatique entre les deux arches.
- Ce soir, finit elle par répondre. Avant le dîner, je viendrais vous voir et je vous donnerais, dans la mesure du possible, les explications que vous attendez. Pour l'instant, il faut que je finisse mon café puis que j'aille voir comment va Thorn.
La mention de ce nom fit pâlir Agathe.
- Ne me dis pas que tu es tombée amoureuse de lui... s'étouffa-t-elle, choquée. Si?
- C'est ma vie privée Agathe, claqua sèchement la brunette. Et puis je ne parlerai pas avant ce soir.La dentellière courba la tête en signe de défaite.
- Je le sais, soupira-t-elle. Oh, je sens que cette journée ne sera pas plaisante. Maman va hurler...
- Je ne vais pas être trop dépaysée dans ce cas ! ironisa sa cadette. Comme c'est gentil de sa part...
Les deux sœurs se quittèrent là. Agathe retourna au Manoir de sa sœur. Ophélie, elle, revint à sa table, but son café puis descendit les étages de la Tour en direction de l'hôpital.
VOUS LISEZ
SOUVENIRS DE BABEL
FanficEt si... Thorn n'avait pas traversé le miroir dans sa cellule ? Attention ⚠️ : Des éléments pouvant gâcher la lecture des trois premiers tomes de La Passe-Miroir sont présents à bord. Merci de votre compréhension Disclaimer : Tous les personnages...