Chapitre 1 Patrick

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Première partie


Danielle, Vitry-sur-Seine, 17 août 1944


Je regardais les gouttes de pluie s'abattre sur la fenêtre de la cuisine. L'orage grondait au-dehors et l'eau ne formait plus qu'un rideau épais à travers lequel on ne voyait pas à un mètre. Mon époux et trois amis résistants étaient partis depuis maintenant deux longues heures. Ils voulaient préparer, avec d'autres réseaux, une possible insurrection qui aurait bientôt lieu à Paris.

Après le décès de ma grand-mère, j'étais retournée chez mes parents à Aix-en-Provence et avais fait la connaissance d'un de leurs amis qui était de passage. Peu de temps après, je m'étais mariée avec lui sur l'insistance de ma mère. C'était un homme plus vieux que moi. Mes parents disaient qu'il m'apporterait la protection et la stabilité financière car il était issu d'une famille assez aisée. Dès qu'il m'avait rencontrée, je m'étais aperçue que je ne l'avais pas laissé indifférent. Et mes ressentis s'étaient confirmés quand il avait demandé ma main à mon père. Ce dernier n'avait pas hésité une seule seconde à la lui accorder sans même me demander mon avis. Je n'avais jamais eu le désir de me marier avec lui, mais mes parents avaient tout fait pour me convaincre, n'hésitant pas à louer ses nombreuses qualités d'homme grand, fort et téméraire. Ils avaient continué à me rabâcher qu'il me protégerait de tous les dangers et qu'avec lui, je n'avais aucun souci à me faire. Alors, je m'étais laissé convaincre. Après tout, un défenseur, c'était toujours un plus, surtout en temps de guerre.

Si seulement j'avais su à quel point je faisais erreur ce jour-là...

Je fermai le robinet et pris la direction des escaliers afin d'atteindre ma chambre. Je recoiffai mes cheveux blonds en chignon dans le miroir situé dans la salle de bain attenante et lissai ma robe blanche en coton. Je devais être présentable au cas où il reviendrait. Il ne supportait pas quand je me laissais aller. À vrai dire, il ne supportait pas grand-chose.

Je n'avais pas d'amis, pas de famille habitant dans le coin, j'étais toute seule. Et ma grand-mère me manquait atrocement. Je pensais à elle chaque jour. À vingt-et-un ans, j'étais partie habiter chez elle dans le but de faire des études à Paris. Je voulais apprendre la musique. Le chant était ma grande passion, j'avais pris des cours pendant plusieurs années et appris à jouer du piano, mais ma mère avait fini par voir d'un mauvais œil cette lubie sans avenir, alors j'avais débuté des études d'architecture. J'aimais beaucoup le dessin, les arts en règle générale, alors ce métier me paraissait un bon compromis. Mais la guerre avait éclaté et mes désirs s'étaient effondrés avec elle, réduisant musique, chant, et architecture en poussière. J'aurais pu continuer, mais l'achat d'un piano était beaucoup trop cher. Je n'avais néanmoins jamais cessé de chanter.

Je descendis les marches et commençai à préparer le repas. Il ne restait que quelques carottes et des pommes de terre. Cela faisait une éternité que je n'avais pas mangé de viande. La nourriture était rationnée, nous n'avions le droit qu'à une petite quantité, le reste étant destiné aux Allemands et à leurs soldats sur le front. Depuis quatre ans, nous supportions l'Occupant, nous obéissions à ses ordres. Nous devions respecter le couvre-feu, vivre à l'heure allemande, accepter la réquisition de nos terres, nos fermes, nos maisons, nos denrées... J'étouffais. Heureusement que le Général de Gaulle était là. Nous l'écoutions secrètement à la radio dès que nous le pouvions et il avait révélé que le débarquement avait eu lieu. Les Américains parvenaient à pousser les Nazis dans leurs retranchements, les faire battre en retraite. Ce n'était plus qu'une question de temps à présent avant de les voir plier.

Je souris.

Les États-Unis allaient nous sauver, je le savais.

La porte s'ouvrit soudain et Patrick apparut. Il retira son manteau tout trempé et alla s'asseoir dans son fauteuil d'un pas traînant, sans même m'accorder un regard. Il fixa droit devant lui et caressa sa barbe noire de trois jours d'un air soucieux.

La rose ne fleurit qu'en hiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant