Chapitre 2 L'inconnu

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Le chant des oiseaux me réveilla. Mon mari était déjà parti. Il ne me réveillait jamais le matin, il n'aimait pas m'avoir dans les pattes et c'était tant mieux. Je m'habillai et allai dans la salle de bain me passer de l'eau sur mon visage. Je me contemplai dans le miroir ovale fixé au mur et recoiffai mes longs cheveux blonds en chignon. Puis, je m'installai au grand bureau au fond de la chambre. Je rangeai la multitude de papiers appartenant à mon mari et posai sur la table mon journal que j'avais sorti de ma poche. J'effleurai du bout des doigts la couverture grise en carton, puis me saisis d'un crayon à papier et écrivis à l'intérieur.

J'adorais y raconter mes pensées, mes peines et surtout mes espoirs. L'écriture était le seul moyen que j'avais trouvé depuis mon mariage pour m'évader d'ici, de ma vie, de mon époux.

Ce cahier représentait un ami, un confident secret que je n'avais jamais eu et que j'avais tant rêvé d'avoir. Lui au moins me comprenait, il m'écoutait d'une oreille attentive sans jamais émettre de jugements. J'y racontais mon amour pour le chant, la musique, et les bals dansants auxquels je ne participais jamais. Patrick n'aimait pas toutes ces choses-là, ce n'était pas un grand mélomane, ni un grand amateur de fête alors je pouvais toujours attendre qu'il m'autorise à y aller. J'écrivais parfois des histoires un peu utopiques dans lesquelles un homme me ferait danser sur une douce musique et me contemplerait amoureusement.

J'émis un rire nerveux. Ouais, j'avais trop lu les contes de fée. Il fallait que je revienne sur terre. La réalité de ma vie était bien différente et j'avais le devoir de me battre, me montrer réaliste et courageuse. Ma grand-mère était comme ça. Je tournai les pages et relus un passage.

25 Janvier 1943

Elle me manque. Bon dieu, qu'elle me manque...Je voudrais figer le temps et revenir en arrière pour la serrer encore une fois dans mes bras. Je la vois en rêve presque chaque nuit, et à chaque fois je me réveille avec une lame dans le cœur.

Ma gorge se noua. Je relevai la tête en fermant les paupières. Pourquoi fallait-il que j'aie envie de pleurer à chaque fois que je pensais à elle ? Ma grand-mère avait été tout pour moi. Elle avait été si forte, si combattive, elle n'avait jamais laissé personne la dominer et encore moins un homme. Ce fameux matin où elle était partie, je l'avais vu inerte dans son lit. Je n'avais pas réalisé tout de suite et puis tout s'était écrouler autour de moi. Les voisins avaient entendu mes cris et avaient pris les choses en mains à ma place. J'avais mis plusieurs mois à m'en remettre. C'était la que mes parents avaient eu l'idée d'inviter leur ami. C'était pour ça que j'avais cédé, pour ça que j'avais finalement accepté de marier avec Patrick, j'étais fatigué de lutter.

Je tournai une autre page et une lettre glissa de mon carnet. Une missive de mes parents. Il ne m'écrivait pas souvent. C'était toujours moi qui le faisais en général. Je leur comptais ma vie ici, mon quotidien avec leur fidèle ami, ma relation faussement idyllique du couple parfait. Je ne me plaignais jamais, je voilais la vérité aussi souvent que je le pouvais et ne leur révélais rien sur ce que je ressentais réellement. Ils étaient si heureux de me voir en ménage, mener le quotidien qu'ils voulaient pour moi. Je ne voulais pas les décevoir. Et puis, les choses étaient bien pires ailleurs, il y avait des gens bien plus malheureux que moi en cette sombre période de guerre.

Je tournai encore une autre page.

10 août 1944

Cher journal,

(...) Pourquoi faut-il qu'ils me terrifient comme ça ? Il ne faut pas que je leur montre le moindre signe de faiblesse, ils s'en serviraient pour me faire du mal. La peur ne doit pas se voir dans mes yeux.

Je plissai le nez. J'avais eu une peur complètement irraisonnée ce jour-là, comme si j'avais croisé un animal sauvage. Je devais vraiment apprendre à me calmer.

La rose ne fleurit qu'en hiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant