5 | lightning before thunder

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E L I E


Dix heures du matin. Gueule de bois. Pourquoi ai-je bu hier? Je sens que cette journée va être très longue. A peine ai-je posé un pied par terre que je sens le mal de tête arriver. Je déteste cette sensation de non-contrôle. Mais je dois assumer les conséquences... Malheureusement.

Je descends les escaliers de ma nouvelle -ancienne- maison pour rejoindre la cuisine, dans laquelle se trouvent déjà mes parents. Café à la main, ils me sourient lorsqu'ils me voient arriver.

- Alors ma chérie, pas trop mal au crâne? me lance mon père

Pour simple réponse, je lui tire la langue puis m'installe à table, mettant instinctivement ma tête entre mes mains. Ma mère dépose directement une tasse de café au lait devant moi, accompagnée d'un médicament.

- Merci maman.

- C'est ça quand on veut faire la fête jusqu'au bout de la nuit. J'espère au moins que tu t'es bien amusée.

Et là, les souvenirs me reviennent. Rage, Sarah, les discussions sur nos bêtises d'enfance. Puis l'arrivée des Pogues. Les mots de JJ, sa violence verbale et physique. La bagarre manquée de peu. Je soupire.

- Oui, c'était pas mal. Jusqu'au moment où des Pogues sont venus confronter les Kooks.

Mon père grimace et me regarde avec tristesse.

- Tu sais ma chérie, ces rivalités ne datent pas d'hier.

- Je sais, mais je pensais qu'en grandissant, on oublierait toutes ces querelles.

- C'est une petite île, tu sais. Les gens n'oublient pas. Malheureusement, ça ne fait qu'empirer.

- Et alors quoi? Ça veut dire que je dois choisir un camp? Je dois me proclamer Kook ou Pogue, et risquer de ne pas me faire d'amis sous prétexte qu'ils ne sont pas sur le bon territoire?

Ma mère soupire en venant poser une main sur mon épaule. Je sais qu'elle ne veut que mon bien, et je sais aussi que ces histoires de guerre de clans ne l'enchantent pas plus que moi.

- Tu n'appartiens à personne, Elie, sauf à toi. Ne laisse personne te dicter quoi faire.

- J'aimerais bien maman... Mais tous les Pogues me regardent déjà de travers car nous vivons à Figure Eight!

- Tu sais ce que tu vaux, c'est le principal, non?

Son sourire se veut réconfortant, mais rien n'y fait. Je ne me sens pas à ma place. Ni chez les Kooks, qui sont des gens sympathiques mais avec trop de valeurs à mon goût, ni du côté des Pogues, intrépides et ne me voulant pas de leur côté. 

En à peine quelques jours ici, j'en viens à regretter mes voyages. Au moins, avant, je ne risquais pas d'être déçue par les gens, puisque je ne restais jamais plus de trois semaines au même endroit. Mais ici, je n'ai pas le choix. Il faut apparemment choisir. Kook ou Pogue. 

Sans un mot, j'engloutis mes dernières gorgées de café et remonte dans ma chambre. Je regarde par la fenêtre. La tempête ne tardera pas, elle sera sûrement là avant ce soir. Je sais que mes parents doivent se rendre dans leurs bureaux pour régler quelques détails concernant leur entreprise. J'espère qu'ils seront rentrés avant la tombée de la nuit. 

Mais pour le moment, je ne veux pas penser à ce qui nous attend un peu plus tard dans la journée. Je me précipite sous la douche, alors que j'entends la porte d'entrée claquer. 

Tandis que l'eau coule sur moi, je repense à cette folle soirée. J'ai l'impression de vivre dans un véritable film. Les Pogues, d'apparence festifs et bonne ambiance, sont les premiers à vouloir chercher les ennuis. Et les Kooks en rigolent, car ils savent toucher leurs points faibles. 

La loi du plus fort. 

* * * 

- Oui maman, ne t'inquiètes pas, je serai rentrée avant que la tempête ne dégénère. Non... Oui maman, je suis sur la plage, là. Non... Oui, allez, bisous. 

Sans laisser le temps à ma génitrice de me répondre, je raccroche et met mon cellulaire dans mon sac. 

Face à moi, la mer, déchaînée. Des nuages noirs ont envahi le ciel et le vent s'est levé. Les vagues viennent s'écraser sur le rivage. La tempête est presque là. 

Alors je souris, parce que c'est un paysage magnifique. Heureusement que j'ai décidé de sortir pour venir peindre. Puisque j'ai été coupée dans mon élan la dernière fois, je veux me rattraper. Et peindre une scène comme celle-ci n'est pas donné à tout le monde. 

Je cherche l'endroit parfait sur lequel me poser et remarque les rochers au pied de l'eau, alors je m'y rends instinctivement. J'ai du mal à marcher droit, les rafales de vent viennent me pousser et me faire tituber.

En regardant au loin, je distingue une silhouette. Un homme est en train de dompter les vagues et je trouve ça fascinant. Son corps est en parfaite symbiose avec l'océan et je me dis que ça y est, j'ai trouvé mon inspiration. 

Je m'installe sur un des rochers, après avoir manqué de peu de tomber. L'eau qui s'écrase sur ceux-ci se mélange aux algues accrochées, ce qui rend la pierre glissante. 

Puis je peins, alternant les jeux de regard entre ma toile et le surfeur au loin. Les couleurs foncées qui s'offrent à moi me donnent l'impression d'une scène apocalyptique, comme si nous en étions arrivés à la fin du monde. C'est beau. 

Je pense que je peins pendant une heure, peut-être deux. J'ai perdu la notion du temps, mais je sais qu'il est temps pour moi de rebrousser chemin. Ma toile est terminée, et je ne suis pas peu fière du résultat. 

Il se met à pleuvoir, d'un seul coup. De grosses gouttes viennent s'écraser sur mon visage, me faisant presque mal. Je me hâte à ranger mes affaires dans mon sac à dos, en priant pour ne pas abîmer mon oeuvre. Je n'aimerais pas avoir fait tout ça pour rien. 

J'essaie de me dépêcher, mais je glisse sur un rocher. Je perds l'équilibre et je sens mon corps s'écraser dans l'eau. J'ai à peine le temps de prendre une grande respiration qu'une vague vient me décrocher de la pierre. Et je sais que je n'ai plus pieds. 

J'ai peur. J'ai peur de l'eau et des profondeurs. Je tente de m'accrocher à quelque chose, n'importe quoi, mais rien ne se trouve autour de moi. Que de l'eau. Rien d'autre. Je suis là, les yeux à moitié fermés, les bras s'agitant dans tous les sens pour essayer de respirer, en vain. 

Je me bats contre moi-même pour essayer de remonter à la surface, mais mon corps ne m'écoute pas. Et c'est le plus difficile. Se battre contre sa propre volonté. Je ne veux pas me noyer. Mais je ne fais rien, je ne sais rien faire. 

C'est donc ça, ma fin à moi? 

paradise on earth | jj maybankOù les histoires vivent. Découvrez maintenant