9 | good things take time

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E L I E



Monsieur Andrew Parker... Résultats d'analyse... Polypes intestinaux... Ganglions lymphatiques... Métastases...

Mes yeux parcourent la feuille tandis que je fronce les sourcils au fil de ma lecture. J'ai du mal à assimiler les phrases que je lis. Les mots se suivent mais je ne comprends pas. Qu'est-ce que tout cela veut dire? 

Et là, un courant électrique parcourt mon corps entier. 

Cancer du colon de stade deux. 

J'essaie de me rattraper  quelque chose, n'importe quoi autour de moi, mais mes jambes flanchent et je me retrouve à genoux. Le papier de l'hôpital entre les doigts, je cligne plusieurs fois des yeux pour être certaine de bien comprendre ce que je viens de lire. 

Un cancer. Mon père a un cancer. Non, non, non. Tout ça doit être une blague. Quand je me suis réveillée ce matin et que je me suis mise à la recherche du presse-agrume, je ne voulais pas tomber sur cette foutue lettre au fond du tiroir. Non, c'est faux. 

Ca ne peut pas être vrai. Après tout, mes parents ont décidé de revenir vivre ici pour revenir aux sources, pour démarrer leur entreprise. Si ce cancer était réel, pourquoi avoir fait ça? Pourquoi ne pas vouloir profiter tout simplement, comme nous le faisions auparavant? 

Puis ça me vient, ça fait tilt dans ma tête. L'état de mon papa ne va pas en s'arrangeant. Et justement, du calme, c'est ce qui lui faut. Du repos, voilà la raison pour laquelle nous sommes revenus à Outer Banks. 

- Oh, papa. 

Je fonds en sanglots. Mon père, ma chair, mon sang. Cet homme fier et sûr de lui, le voilà rongé par une foutue maladie. Ce n'est pas juste, lui qui a toujours fait les choses comme il le fallait, sans jamais se plaindre des épreuves de la vie. Pourquoi m'avoir caché une telle chose? 

Je ne sais pas ce que je ressens. La tristesse, la colère et la peur prennent possession de mon esprit et je me sens submergée par toutes ces émotions. Je me sens impuissante face à ce qui se trame, et je ne peux rien y faire. 

Alors je fais ce que je sais faire, je fuis. Je prends mon vélo et je pars. Même si mes parents ne sont pas à la maison, je ne veux pas rester ici, dans cet endroit. Je roule, encore et encore, les yeux embués par toutes mes larmes. Mes mollets me font mal mais je m'en fiche. Je veux juste arrêter de penser. 

Sur la route, une voiture me klaxonne car je ne roule pas droit. S'il savaient comme je n'en ai rien à faire. Le majeur en l'air, je veux leur hurler dessus, car ils ne comprennent pas mon état. Ils ne comprennent pas ma peine. 

J'arrive à la plage. Tout me ramène toujours à cette fichue plage. Je balance mon vélo sur le bas côté et mes pieds touchent rapidement le sable. D'ordinaire, cette sensation fraîche sous mon poids m'aurait apaisée, mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, rien ne peut me faire du bien. J'ai mal, et bordel, cette sensation est tellement désagréable. 

Je suis seule ici. Il est à peine huit heures du matin et tout le monde doit encore être en train de dormir paisiblement. Le soleil commence seulement à se lever, les rayons se réfléchissant sur l'eau calme. Lorsque je m'approche du bord de l'océan, la brise vient s'écraser sur mon visage. Le vent fait virevolter mes cheveux, dans lesquels je passe une main. 

Alors que je regarde au loin, mes pieds me guident instinctivement dans l'eau. J'avance petit à petit, alors que l'océan est glacial. Je n'ai pas pris le temps de retirer mes vêtements, mais ce n'est pas grave. Je suis rapidement submergée par l'eau, m'arrivant jusqu'aux épaules, et je ne me suis toujours pas arrêtée de pleurer. 

Je crie. Toujours plus fort, en espérant que la mélancolie quitte mon corps. J'espère du plus profond de mon être avoir imaginé ce moment. Je frappe les vagues qui me font bouger, me débattant avec l'imaginaire, et je crie encore. Je n'arrive pas à m'arrêter. 

Je ne sais pas combien de temps je reste ainsi, à me battre avec moi-même dans l'océan. Mais lorsque la rage quitte finalement mon corps, la pression redescend quelque peu. Donc, doucement, je me rapproche du sable. Je quitte peu à peu l'environnement froid dans lequel je me trouvais pour rejoindre le bord de la plage. 

Je m'effondre sur le sable, trempée et complètement gelée. Et je regarde l'horizon, perdue. Je suis perdue dans mes pensée, perdue tout simplement. Je n'avais jamais ressenti des émotions comme celle-ci, et merde alors, ça fait tellement mal. Je suis brisée et impuissante. 

- Je croyais qu'on t'avait dit que tu ne devais pas venir sur cette plage. 

Je reconnais cette voix, elle provient de derrière moi. Je la reconnais parce que, quelques jours plus tôt, je me suis retrouvée seule avec ce garçon. Je ne bronche pas, je ne prends même pas la peine de me retourner pour lui faire face. Je n'ai pas le temps pour ses conneries de Pogues. Alors je l'ignore, en espérant qu'il s'en aille. 

- Je te parle. La moindre des choses serait de me répondre. 

Tais-toi, JJ. Tais-toi, s'il te plait. Je t'en prie, arrête de parler. Je ne veux pas t'écouter, ni toi ni quelqu'un d'autre. Je ferme les yeux quelques secondes, priant que sa présence disparaisse. Mais non. Au lieu de tourner les talons, il se poste à ma gauche. Alors que je suis assise, lui me domine largement. Du coin de l'oeil, je vois ses bras se croiser sur son torse. 

Et je le regarde enfin, les larmes ne s'arrêtant toujours pas. Sa surprise est grande, je le sais, car ses bras s'effondrent le long de son corps. Il me fixe longuement, les lèvres entrouvertes, ne sachant pas quoi dire. Je dois faire peur à voir, j'en suis consciente. Mais je me fiche de lui et de ce qu'il peut penser de moi. 

Je me relève doucement. Il doit penser que je m'en vais, mais je reproduis le schéma que j'ai fait quelques minutes auparavant. J'avance à petits pas dans l'eau, en prenant de grandes inspirations. Les vagues s'écrasent à nouveau sur mes cuisses et une sensation de brûlure m'envahit. 

- Mais qu'est-ce que tu fais? il crie derrière moi 

Je l'entends murmurer des choses, quelques mètres derrière moi, alors que l'eau vient me chatouiller le cou. Si je continue à marcher, je n'aurai bientôt plus pieds. Alors je m'arrête où je suis, mes yeux rivés sur le soleil qui se lève petit à petit. L'eau est glacée et me donne des frissons. Pour habituer mon corps à cette sensation, je plonge ma tête dans l'eau en fermant les yeux. 

En quelques secondes, je remonte à la surface et le vent chatouille les gouttes d'eau présentes sur mes joues. Mes paupières s'ouvrent et il est là, dans l'eau avec moi. JJ m'a rejoint, et il se trouve toujours dans l'incompréhension la plus totale. 

- Est-ce que tu vas bien? 

Son innocence me fait pleurer un peu plus. Si, auparavant, je m'étais toujours promis de ne pas montrer mes sentiments aux gens, aujourd'hui ça n'a plus d'importance. Il est là, à quelques centimètres de moi, et il peut lire en moi comme dans un livre ouvert. 

En silence, il attrape mon poignet sous l'eau. Et à mon plus grand étonnement, je me retrouve collée à lui. Ses mains trouvent leur chemin jusqu'à mon dos, alors que je pose ma tête contre son torse nu en pleurant de plus belle. La chaleur de son corps contraste avec la fraîcheur de la matinée. 

Son étreinte me fait du bien, elle me rassure. Ses doigts font des petits cercles entre mes omoplates, tandis que les vagues nous bercent. Je sens son souffle chaud s'écraser sur mes épaules et sans m'en rendre compte, mes larmes se sont arrêtées. De temps à autres, des spasmes me font sursauter, mais il ressert un peu plus ses bras autour de moi, pour ne pas que je perde pied. 

Et dans un murmure à peine audible, d'une voix rauque, il me dit... 

- Ca va. Tout ira mieux. 


paradise on earth | jj maybankOù les histoires vivent. Découvrez maintenant