Chapitre 1

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BROOKE: 

Il effleure de ses mains tremblantes ma culotte. Ses yeux verts croisent les miens, ses lèvres s'entre-ouvrent, mais mot n'en sort. Ce silence me trouble. Ses doigts désormais serrent mon soutien-gorge, se baladent hardiment sur la dentelle noire et les fleurs finement brodées. Mon coeur, brusquement charmé, se serre et s'embrase. Je bredouille. Il attrape alors une boîte de thon en conserve et un paquet d'essuie-tout. Hein ? 

- Ça fera un total de 63,34$ s'il vous plait. Par carte ? Très bien. 

Le caissier renseigne le prix sur le terminal de paiement électronique qu'il tend à ma mère. 

-Merci jeune homme. Brooke, ne reste pas planté là enfin, range les courses ! Brooke ?

-Oui, oui. 

Mon imagination s'est sacrément déchaînée, alors le retour à la réalité est rude. Un garçon a touché mes sous-vêtements, enfin techniquement ils n'étaient pas encore à moi car ma mère n'avait rien réglé au moment des faits mais faisons abstraction de ce détail. Mais attendez, du coup, si c'est elle qui a payé, ils lui appartiennent non ? Foutue société capitaliste. 

Porter les sacs de courses requiert un sacré effort physique et je peine à suivre ma mère qui se dirige vers la voiture, une vieille Chrysler grise cabossée. 

- Tu le connais ce garçon ?

- Non, comment veux-tu que je le connaisse ? C'est la première fois que je mets les pieds ici.

- C'est juste la façon dont tu le regardais, tu le dévorais du regard.

 - Maman !

Elle s'est fait épiler les sourcils, il y a dix jours de cela, et depuis elle a cet air niais, car ils sont arqués d'une telle sorte qu'elle a l'air constamment étonnée, même lorsqu'elle s'énerve. 

- Faut que je fasse pipi. 

- T'es sûre ? Peut être que c'est le garçon, tu sais, qui t'as excité ici-bas.

- Maman, arrête ! 

- Excuse-moi chérie. Dépêche-toi alors, la route est longue. Et on doit s'arrêter à Phoenix pour récupérer les clefs. 

-Oui, oui, je sais.


Lorsque nous arrivons à Glendale, dans l'état de l'Arizona, les rues sont désertes, la ville entière dort. La voiture s'engouffre dans une ruelle résidentielle. Les maisons sont vétustes et dans l'ensemble, assez anciennes. Contrairement à ce que j'ai imaginé, elles ne sont pas toutes identiques, et ont des formes assez irrégulières. Ma mère freine et s'exclame:

- C'est ici !

Une étrange demeure se dresse face à nous. Un panneau sur lequel est écrit "Maison à vendre" est planté au milieu du jardin, enfin d'un rectangle de gazon desséché. Le perron de quelques marches donne sur une terrasse bordée par une balustrade en bois. Je sors du véhicule. L'air est sec, l'atmosphère aride. Ma mère ouvre le coffre, attrape un petit carton et me le tend.

- Maman, les déménageurs viennent à quelle heure demain déjà ?

- Aux alentours de 10h.

- Ok, parfait ! Je veux bien mon sac de couchage.

- Ah pardon, tiens chérie.

Les bras bien chargés, je me retourne non sans difficulté quand soudainement, un homme tout de noir vêtu ouvre une fenêtre au premier étage, enjambe la rambarde, bondit sur la toiture du garage en tuiles, saute à terre, cavale quelques mètres et disparait entre deux maisons. Interloquée, ma mère balbutie et étouffe un cri. Je lis la peur dans ses yeux. 

- Maman ? 

Elle reprend ses esprits, attrape son sac à main et en extirpe le trousseau de clés que nous avons récupéré à Phoenix. Nous entrons dans la maison vide. Le parquet en bois massif craque sous nos pas. Comme c'est glauque. J'ai du mal à m'imaginer vivre ici. Tant pis, c'est ainsi. Une visite de l'intérieur de la maison s'impose. Je me dirige vers l'escalier, monte les marches une à une, emprunte un étroit couloir et ouvre la première porte qui se présente à moi à l'aide de mon épaule. Des mégots de cigarette jonchent le sol, un drap noir est à même le sol. Un sweat-shirt gris est roulé en boule, il y a des feuilles, quelques stylos et un carnet noir. L'homme est parti si précipitamment qu'il en a oublié ses affaires. Je me débarrasse de ce que j'ai dans les mains et attrape le carnet, que je feuillette délicatement. Sur la première page, on peut lire  "Wyatt Whitman, Junior Year, Lycée Hopper". Eh, mais c'est mon nouveau lycée !  Je m'apprête à y faire ma rentrée en terminale ! En dessous de cette inscription, gribouillée à l'encre noir, une citation du poète Arthur Rimbaud "On n'est pas sérieux quand on a 17 ans". 

De bien sombres pensées sont couchées dans ce carnet, son propriétaire doit être un garçon tourmenté à la vie assez chaotique. 



Nocturne AmourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant