3. Vade retro Alexandras

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3. Non reviens, j'ai fait une grosse gaffe.






Après avoir fouillé la maison de fond en comble, Isabelle perd totalement espoir.

Pas de trace d'Archibald.

Une série d'injures se fait entendre d'une pièce à l'autre. Même en ayant passé une bonne partie de son enfance entre ces murs, elle a l'impression que toutes les cloisons lui sont devenues inconnues. Isabelle avait dix ans quand Mamie Cerise avait ramené Archibald du refuge pour chats, il n'est plus tout jeune. Après, elle n'a pas pensé à vérifier ce à quoi correspondait des années chat.

Laissant le dvd de Sinbad tourner dans le vide, Isabelle se munit d'une lampe torche trouvée dans un placard. Elle ouvre la porte d'entrée à la volée, enfilant maladroitement ses chaussures. Ses pieds foulent l'herbe enflammée, mais si elle parvient à voir le quartier s'illuminer à la lueur des citrouilles, trouver un chat au pelage couleur automne sera une lourde tâche.

Archibald s'est enfui, mais où ?

Elle jette un coup d'œil à son portable, il est 19:08.

Isabelle secoue vigoureusement la tête, c'est un chat. Un gros chat qui dort toute la journée et qui ne bouge que pour passer du salon à la cuisine. Il n'a pas pu aller bien loin !

Isabelle contourne la cour-avant pour passer à l'arrière. C'est bien moins éclairé, elle n'y voit pas grand-chose. C'est même assez sinistre, la seule chose que son rayon de lumière capture est un monticule de buches et des arbres squelettiques, l'automne a pris de l'avance sur certaines surfaces. Entre rouge, jaune et ocre, on bascule très rapidement à la couleur des morts.

— Archibald ? Archibaaaald ! T'es où mon chat ?

Toute minuscule dans son hoodie, Isabelle rabat sa capuche alors qu'elle s'enfonce un peu plus dans ce semblant de bois. Elle rentre la tête dans ses épaules et gonfle les joues, avant d'entendre son cœur battre dans sa tempe. C'est l'appréhension d'avoir perdu le trésor de Mamie Cerise et aussi le fait qu'Isabelle n'a jamais vraiment été à l'aise dans le noir.

Au bout d'une poignée de minutes, elle se résout à rebrousser chemin, revenant tête baissée vers la devanture.

Elle se sent honteuse et inquiète.

Puis elle entend un craquement, qui la fait se figer.

— Qu'est-ce qu-

Tout son corps se tend, alors même que le craquement se répète pour se rapprocher d'elle. La nuit est tombée, elle commence enfin totalement, mais le quartier est encore calme. Les premiers passages de groupes d'enfants ne se feront que dans une petite demi-heure, une heure sûrement.

Mais même si c'était un enfant, Isabelle n'en serait pas plus rassurée. Sérieusement, au premier « Tu veux jouer avec moi ? », elle promet, elle tombe dans les pommes.

— Tu fous quoi là à hurler comme ça ?

S'il avait juste posé la question, Isabelle n'aurait pas eu une réaction aussi violente. Mais en plus de ses mots sortis de nulle part, une main se pose sur son épaule. Ne l'ayant pas vu venir, son corps se braque et Isabelle pousse un hurlement digne des films d'horreur. Si on fait un plan de recul pour détailler le paysage, on verrait sûrement une nuée de chauve-souris s'enfuir dans le ciel violet foncé, presque bleu. Juste pour ajouter un côté plus percutant au moment, alors qu'en vrai, c'est juste une ado un peu froussarde.

Rapidement, la main s'écarte pour se plaquer à sa bouche. Le cri s'étouffe pour laisser place à une voix énervée, mais aussi désarçonnée.

— Tais-toi !

Honnêtement, Isabelle a presque l'impression d'avoir reçu une gifle. Elle a le tournis, pivotant faiblement, la lampe torche menaçant de tomber à terre.

Elle la braque sur le visage mangé par la pénombre, et la voix agacée jure de plus belle face à l'éclairage qu'il se reçoit dans les yeux.

— Mais merde Isa tu fais exprès d'être aussi cruche ?

— Alexandre ?

L'interpelé barre son visage de sa main, prise dans un gant de dentelle, un geste qui semble presque théâtral puisqu'il entraine une longue cape noire dans son mouvement. Quand Isabelle règle la luminosité à son minimum, Alexandre parvient à entrouvrir une paupière, néanmoins son air est toujours froissé.

Isabelle le regarde de haut en bas, clignant des paupières pour revenir à elle.

— Pourquoi t'es habillé en stripteaseur ?

— Je suis un vampire !

Le blond grimace en passant une main dans ses cheveux mi-longs, il les a coiffés en arrière, laissant son front totalement dégagé. Isabelle n'est pas assez calée pour nommer toutes les matières dont est composé son accoutrement, mais il est évident qu'il y a beaucoup de faux cuir impliqué. Alexandre porte un pantalon noir moulant, maintenu par une ceinture au niveau de sa taille, la rendant encore plus fine. En-dessous, c'est un autre chemisier en satin, bordeaux cette fois, dont les épaules sont parsemées de pierres fantaisistes. La brune baisse les yeux, les verrouillant sur le sol, fronçant le nez devant les Docs Martens qui s'enfoncent dans la terre humide. Pour Halloween, Alexandre n'a pas pensé pratique.

Puis elle s'attarde sur son visage, essayant de ne pas laisser paraitre quoi que ce soit. De toute façon, Alexandre n'a pas l'air très enchanté d'être là lui non plus.

Pourtant, Isabelle ne peut se décrocher de l'harmonie de ses traits. Personne ne peut le contredire, Alexandre a toujours été incroyablement beau, avec ses traits fins donnant au tableau une allure androgyne, ses prunelles océan et son nez aquilin. Ce soir, il a poussé la chose un peu plus loin. Une lueur d'argent découpe ses iris, le fard à paupière carmin approfondit le regard qui ne se veut pourtant pas effrayant, méthodiquement estompé sous le tracé plus foncé de quelques capillaires. Des paillettes argentées ont été disséminées sur ses pommettes et un peu sur ses joues, créant un gradient étoilé, de fausses constellations que seule la véritable lumière peut révéler. Une chainette se balance sur son oreille droite, elle s'agite plus rudement quand il penche la tête sur le côté. Et la touche finale, le ras de cou décoré de dentelle, qui vient parfaire l'intégralité de sa tenue.

— T'as perdu Archie ?

Isabelle revient à elle, ses yeux s'écarquillant de plus belle. Face à elle, Alexandre est pris d'un mouvement de recul en pensant que sa voisine va se métamorphoser en merlan frit. Juste ce geste, parvient à rappeler à Isabelle qu'elle n'a qu'un humain face à elle.

— Tu l'as vu ? Dis-moi que tu l'as vu !

— Du calme, grogne Alexandre en levant ses mains devant lui. Je l'ai pas vu, et j'ai pas le temps.

— Comment ça t'as pas le temps ?

Alexandre roule les yeux avant de tourner les talons.

— Je t'ai entendu crier depuis chez moi, je crois que c'est le cas de tout le quartier. Je venais juste voir si t'avais pas brûlé la maison.

— Il faut que je retrouve Archie !

— Bon courage. Je vais à la fête de ton pote.

Et Alexandre tourne les talons, lui faisant un bref signe de la main. Sa désinvolture a quelque chose de faux pourtant.

Il continue ce petit jeu en espérant maintenir ce masque jusqu'à chez lui.

Immobile derrière, complètement démunie, Isabelle porte ses mains à son visage et soupire.

— Qu'est-ce qu'elle va penser Mamie Cerise quand elle découvrira ça...

Est-ce qu'Isabelle s'attendait à ce qu'Alexandre se fige en plein milieu du chemin à la suite de cette phrase ?

Peut-être un peu.

Halloween PartyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant