Épisode 35: DES CHEMINS SE CROISENT Partie B

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2010 / Sanctuaire faunique en Afrique

Après plusieurs mois passés chez sa tante Lillian, Myrtle manquait excessivement sa mère adoptive. Elle démontrait les premiers signes d'une dépression. Son appétit diminuait de jour en jour et son pelage avait perdu tout son lustre. Lillian craignait le pire.

En feuilletant son Marie-France du mois, elle tomba par hasard sur un article expliquant les étapes à traverser pour vaincre l'état de désespoir dans lequel certains individus, plus souvent des femmes, se retrouvaient.

— Brindezinguissime, on pourrait substituer chaque fois le mot « individu » par « Myrtle la guenon » dans ce dossier ! C'est comme si la journaliste s'adressait à moi directement, s'exclama-t-elle dans son bain de mousse.

En d'autres temps, elle aurait respecté le temps prescrit dans le magazine pour passer à travers les six étapes. Mais la primate était dangereusement près d'un point de non-retour. Plus question de laisser la chance au coureur, elle devait sortir la grosse artillerie. Myrtle avait besoin de renouer contact avec sa mère au plus vite.


Lillian s'extirpa de son bain sur pattes d'un geste brusque sans se soucier du déversement d'eau savonnée qu'elle venait de provoquer. Elle savait que Mrs. Armstrong passerait par derrière et nettoierait tout. C'était l'avantage de savoir bien s'entourer. Elle enveloppa son corps d'une serviette moelleuse et pinça l'anti-tragus de son oreille gauche pour communiquer directement avec son chauffeur.

— Dr. Larabie, Vidge ne peut s'engager dans une adoption comme s'il s'agissait d'une simple poupée. Vous me suivez ? Myrtle est un être vivant. Cette pauvre enfant sera traumatisée à vie. Et de plus, qu'adviendra-t-il de sa progéniture ? Une lignée hypothéquée ! Voilà le sort que Vidge lui réserve ! Inacceptablissime! Non, cette mère doit assumer ses responsabilités et cesser d'agir en doctorante blessée. Son moment « Maria Goretti » a assez duré. Dans la vie, on subit, on pleure et on se relève. Après tout, elle n'est certainement pas la première à voir des années de recherche tomber à l'eau.

— Lee, tu as entièrement raison.

— ...

Vidge, quant à elle, repassait jour et nuit cette dernière journée fatidique en territoire universitaire. Elle n'avait de tête que pour sa thèse de doctorat qui n'avait su tenir la route. L'expression « l'habit ne fait pas le moine » lui avait sauté au visage. Elle s'était sentie complètement sotte devant son jury lors de sa soutenance. On y avait pris un violent plaisir à la flageoler de mots acerbes et de critiques destructives. On s'était moqué de son travail du haut d'un soi-disant plus grand savoir.

Vidge avait dû se rendre à l'évidence : Elle s'était royalement trompée. L'introduction au port du vêtement dès la petite enfance de son cobaye Myrtle s'était avérée un fiasco monumental. Cette simulation n'avait su prouver sa supposition paléoanthropologique. Vidge avançait que la bascule du primate à l'homme primitif avait été déclenchée par ce geste accidentel de couverture du corps. Cette soudaine prise de conscience du « nu » aurait fait boule de neige et mené à des comportements de plus en plus hominidé. Malgré tous ses efforts à transposer les conditions du Paléolothique dans l'ère contemporaine, la guenon ne s'était tout simplement pas transformée en une Lucy. Cette proposition « dress the part » dans l'histoire évolutive de la lignée humaine était, selon son jury, tout aussi gratuite et crétine que celle de l'apparition du premier string à laquelle la doctorante faisait allusion en pied de page de sa thèse. On l'avait traitée de créationniste confuse. Jamais, n'aurait-elle dû parler de cette fameuse feuille de vigne dans le jardin d'Éden. On lui avait craché les mots : foutaise, fadaise, fichaise et niaiserie au plus haut degré avant de recevoir son coup de grâce.

OPÉRATION CARAL 2052Où les histoires vivent. Découvrez maintenant