OPÉRATION CARAL 2052

Épisode 45: GALA

2019 / STARSTRUCK version acoustique

Kristoff organisa sans trop d'effort une image miroir du mur de moniteurs de la régie du Théâtre Queen Elizabeth directement au QG de la Montagne. Il dirigerait à distance le découpage télévisuel de la dernière performance du Gala de la Fondation des Maladies Orphelines. 

***

Le maître de cérémonie se retira de scène.

Au signal, Kiera déposa délicatement les mains sous la signature Steinway and Sons et joua les mesures d'introduction. Kristoff ne manqua pas d'assigner un gros plan. Doucement, la prise de vue s'élargit pour capter la pianiste de profil. Les plumes dans ses cheveux oscillèrent avec le mouvement de son corps battant le tempo de la musique. La posture de la musicienne était en soi une performance à savourer. 

Au loin, on apercevait Justin torse nu se balançant de gauche à droite.  Le chanteur se concentrait sur son tête-à-tête. Il avait une confiance aveugle en son équipe. Chacun s'ajusterait selon l'intelligence du moment.  Ensemble, ils présenteraient un danseur en parfaite forme physique. 

Esteban était au neutre. Il avait compris son rôle: se laisser faire. Il ne devait manifester aucune interférence. Une tâche loin d'être facile pour lui mais  à laquelle il se soumit entièrement sachant que tous se mobilisaient pour lui. 

Fanny et Xavier avaient complété avec brio leur partie de l'illusion. Ses bleus étaient camouflés à merveille.  Après avoir appliqué des compresses froides et frotté de la pommade à l'arnica partout sur le tronc et au visage du danseur, ils l'avaient maquillé de la tête aux pieds avec des motifs rappelant la fête hindoue Holi.   

Confiant qu'il avait tout sous contrôle, Justin ouvrit les yeux et chanta d'une voix grave et puissante les premières lignes de la chanson.  Elles traçaient à rebours les souvenirs du personnage qu'il incarnait. Kiera ne regardait que furtivement  la partition qui défilait sur sa tablette électronique.  Ensemble, ils bercèrent et envoutèrent le public. 

Une main colorée de tons pastels apparut derrière l'épaule de Justin et descendit le long de sa poitrine. Le bras musclé chercha à s'accrocher à son cou. Il agrippa l'homme derrière lui par la ceinture, le tira à l'avant et le rattrapa à temps lui évitant un écroulement au sol en glissant une jambe sous la cambrure de son dos et une main sous la nuque. Pour solidifier la position, il empoigna son bras de l'autre. Le contraste entre les deux hommes intrigua le public. Le corps  du dominant était au naturel alors que celui de l'homme suspendu était recouvert de maculatures de poudre de couleurs.

Pendant que le personnage d'Esteban semblait être en état de lévitation, celui de Justin avertit ses souvenirs qu'ils n'auraient jamais le dessus sur lui. Le danseur se releva de sa position de pont et s'élança vers l'avant scène en courant d'un pas dansant. Le cable reliant les deux hommes fut étiré au maximum. Cela empêcha une chute dans l'auditoire.  Les spectateurs de la première rangée haletèrent à l'unisson.  

Les trois couplets subséquents décrivirent des moments marquants de la carrière du personnage-chanteur alors que son ombre-danseur figeait en différentes positions évoquant l'ascension au vedettariat. Heureusement, le lâcher-prise complet d'Esteban facilita l'exploit psychokinèsique. Justin le manipulait aisément comme s'il s'agissait d'un avatar en CGI.

Le registre changea et Justin s'engagea dans une envolée de notes aiguës avec sa capacité pulmonaire redoutable. Lillian qui avait assisté à la première de StarStruck dix ans auparavant constata la puissance de cette version épurée de tout artifice.

Justin sentit un début de défaillance physique. Ce duo de danse exigeait une concentration cérébrale phénoménale. Il craignit flancher bien avant Esteban. Au refrain, il le tira vers lui.  Ce rapprochement corps à corps lui permit de le soutenir tel un marionnettiste. Une image de Geppetto et Pinocchio le redynamisa.  Il entama les couplets suivants dénonçant les sacrifices obligés par sa montée vers la gloire.