La Peste Noire

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1349, la Peste Noire.

Rampa se mordit la joue, la main posée sur le front d'un malade. L'homme, le visage perlant de sueur, grimaça un peu en entrouvrant ses yeux fiévreux. Il les leva sur l'individu se tenant près de lui, aux longs cheveux roux sombres, portant des lunettes aux verres teintés. Il fronça les sourcils devant ce visage familier, tentant de se souvenir où il l'avait déjà vu. Il se souvint alors qu'il l'avait accueilli dans un des bâtiments accueillant les malades, lui avait donné une couchette, un repas chaud et une infusion qui avait un peu apaisé sa douleur.

Il grimaça de douleur en remuant un peu, la douleur déchirant chacun de ses muscles. Rampa vit la fin, dans les yeux du malade. Il réprima le pincement de son cœur. Lui, se sentir attristé par un nouveau mort ? N'importe quoi. Il était une créature céleste, il n'en avait rien à faire, de ces mortels. Un démon, qui plus est. Alors que faisait-il ici, dans ce sanctuaire pour les malades qui tombaient comme des mouches ? Il en avait bien une idée, un ange lui aurait dit qu'il avait un bon fond, mais il lui aurait répondu de se taire.

« Penses-tu que le Seigneur va m'accueillir avec lui ? murmura le malade.

-Je suis convaincu que oui, soupira Rampa en roulant des yeux. Tu vas aller avec lui et t'ennuyer pour une éternité. » Le mourant ignora sa dernière remarque. Il sembla hésiter, l'air effrayé. Il attrapa la manche de Rampa pour le dévisager avec gravité.

-Et si... et s'il n'y a rien ? J'ai toujours eu la Foie, le Seigneur m'en est témoin. Mais là... face à la fin... et s'il n'y avait rien ?

-Je t'assure qu'il y a quelque chose, assura Rampa.

-Comment peux-tu en être si sûr ? » Rampa regarda aux alentours. C'était la nuit, la plupart des infectés dormaient. Les rares réveillés étaient trop occupés à gémir et lutter pour faire attention à eux.

Lentement, le démon se redressa et dévoila ses deux grandes ailes de jais. Le malade le scruta d'abord avec surprise puis il eut une moue rassurée.

« Je savais que quelqu'un qui s'occupe si bien de nous malgré le risque de tomber malade ne pouvait être qu'un ange. » Rampa ne le démentit pas. Tout ce qu'il voulait, c'était qu'il soit rassuré. Si l'homme pensait qu'il était un ange, qu'il en soit ainsi.

« Repose-toi, mon ami. Tu peux partir rassuré. » Le malade opina d'un battement de paupières, les laissa se fermer et cessa de lutter. Rampa vit sa poitrine se soulever plus lentement jusqu'à s'immobiliser. Il détourna tristement les yeux. Il ne doutait pas que l'homme serait heureux, en Haut. Mais il ne pouvait s'empêcher de se dire que la vie mortelle, aussi courte soit-elle, valait toute une éternité en Haut. Ici bas, ils pouvaient rire, danser, manger, dormir, aimer... En Haut, comme en Bas, tout était froid et creux.

Il se leva et, constatant que tout le monde avait fini par s'endormir parmi ses malades, sortit. La fraicheur de la nuit l'enveloppa. Il était dans une petite ville en Bohème, et à mesure qu'ils approchaient de l'hiver, le vent devenait glacial. Il referma ses bras autour de sa poitrine en écoutant le silence. Les tavernes étaient fermées, les maisons barricadées. Plus personne n'osait sortir depuis que la peste avait envahi les rues. Il avait sillonnait les pays ces deux dernières années et n'avaient vu que la mort.

Il soupira à s'en fendre l'âme,-par la chance, il était un démon, il ne devrait pas en posséder. Normalement. Il s'enfonça dans les rues sombres de la ville, fermant les yeux en passant devant le corps sans vie d'une femme à la peau crevassée par les ulcères. Il rejoignit une petite cabane aux limites de la ville. Il se sentait épuisé. Les démons n'étaient pas censés sentir la fatigue, encore moins dormir. Mais lui, il était las.

Good OmensOù les histoires vivent. Découvrez maintenant