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21 août, 00:26
Une espèce de clairière dans la forêt. Deux jeunes.

Théa jeta ses affaires au sol et s'assît en silence dans l'herbe, à côté de l'inconnue.
« -Mais qu'est-ce que ... ? »
L'inconnue ne finit pas sa phrase, s'attendant sûrement à ce que l'intruse explique sa présence à ses côtés. Mais Théa n'en fit rien et nota simplement que sa voix était rocailleuse.
« -Il y a un peu toute une forêt de disponible sinon.
-Je sais. »
Théa avait enfin daigné parler.
Silence. Encore.
Au début, elle s'était dit qu'elle se ferait passer pour la fille silencieuse et mystèrieuse, mais Théa commençait à être gênée. En vérité, généralement elle détestait le silence. Mais elle détestait aussi devoir réfléchir pour parler, pour trouver quoi dire. Donc elle paniqua. Elle tenta quelque chose.
« -Il fait nuit.
-Bien vu.
-J'ai trouvé que ça.
-J'aurais pu dire « bien essayé », mais ça ne vaut même pas un encouragement.
-Désolée. Je vais chercher quelque chose de mieux.
Silence.
-J'ai réfléchi et en fait je garde ma phrase de départ. Je l'aime bien. (pause) Il fait nuit. » Elle répéta.
"-D'accord.
-Et... tu es assise dans une espèce de clairière dans une forêt en pleine nuit. Toute seule. » Cette fois ce fut Théa qui invita la jeune à sa droite à parler d'un haussement de sourcil.
« -Mais maintenant je ne le suis plus.
-N'empêche. C'est pas une activité commune.
-Oui. Et tu es cette personne qui vient parler à une autre personne assise dans une espèce de clairière dans la forêt en pleine nuit. C'est vrai que ça c'est très commun.
-J'aime bien parler avec des inconnus."
Nouveau silence.
"-Et pourquoi parler avec des inconnus est si génial du coup ?
-Ils savent rien de toi, mais tout sur ta vie. (en marmonnant) Ou est-ce l'inverse ?
-Je sais rien sur ta vie.
-Je ne connais rien de la tienne non plus.
-Mais tu vois bien que ce que tu dis n'a aucun sens!
-Il y a toujours un sens. Pour l'instant je dirais qu'on tourne en rond."
L'inconnue avait un air septique scotché sur le visage et avait l'air d'attendre la suite d'une réplique qui ne vint pas, ou alors elle patientait pour obtenir une explication. Ou peut-être qu'elle avait compris mais qu'elle tentait d'analyser le discours de l'étrange énergumène à sa gauche.
-"C'est stupide ce que tu dis."
Le silence de Théa fut assourdissant par sa condescendance et acheva de troubler son interlocutrice qui se replongea dans ses pensées. Théa, elle, profita du silence de sa voisine pour la détailler des yeux, voisine qui semblait tout d'un coup très investie dans sa mission d'arracher un pissenlit avec ses pieds.
« -Il faut que tu retires tes chaussures. Ce sera plus facile. Là tu te fais juste du mal.
-T'inquiète pas j'y suis presque. Et ce qui est facile ne vaut presque jamais la peine.
-J'ai jamais dit que je m'inquiétais.
-Et pourtant je suis sûre que tu t'inquiètes pour ce pauvre pissenlit, là tout de suite.
-Qui n'aurait pas de la peine pour lui ?»
Elle continua son massacre de pissenlit pendant bien cinq minutes. La Lune les éclairait, mais pas suffisamment pour que Théa puisse voir totalement son interlocutrice. Elle voyait juste le contour d'un nez droit, d'épaisses boucles qui tombent sur un front dont les multiples irrégularités témoignaient de la sombre période de l'adolescence et un trait d'eye-liner à en faire pâlir Amy Winehouse. Elle ne distinguait pas bien son corps, et ses vêtements amples et sombres n'aidaient en rien.
Les yeux de Théa glissaient enfin sur les reflets des bottines à plateforme de la bouclée quand le pissenlit fut vaincu. Écrabouillé entre ses deux immenses semelles, l'inconnue leva ses jambes, fit une rotation sur son fessier en prenant appui sur ses bras et présenta la fleur écrabouillée (toujours entre ses bottines) au nez de notre héroïne. Héroïne qui resta interdite.
« -Allez prend là, et grouille toi, cette position fait trop mal aux bras.»
Théa attrapa délicatement le pissenlit entre son pouce et son majeur et l'étudia, méditant sur ce qu'elle devait en faire. Alors qu'elle pensait à le manger, elle se dit que les semelles de la bouclée ne devaient pas être un modèle de propreté ce soir-là. Alors, elle dit simplement :
« -Merci. »
Et elle le garda entre son pouce et son majeur.

ThéaïsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant