J'ai dormi comme une masse et au réveil j'avais le cœur serré, et je ne savais pas si tout ce que j'avais vécu hier s'était vraiment passé. Un militaire m'a rudement réveillé. Un camion blanc, entouré de quatre jeeps, m'attendait. Diane, Moulin et une escouade m'attendaient avec une impatience contrariée.
On est partis vers l'est. Notre chemin était sinueux, le convoi devant contourner de nombreuses Ghourd, c'est à dire des dunes pyramidales sculptées par le vent. Au loin, deux grands pics se dessinaient. Ils dominaient une chaîne rocheuse et semblaient aussi pointus que rapprochés, comme une grande pince qui aurait voulu saisir le soleil.
Notre convoi s'est arrêté. Les militaires en sont sortis comme s'ils étaient sur des ressorts. Il faisait chaud. Diane m'a entouré la tête d'une grande écharpe. Le soleil n'allait pas tarder à taper dur. Malgré ma difficulté à résister à la chaleur, j'étais bien loti : les autres soldats devaient, en plus de leurs armes, décharger le camion de tenues et d'appareils, et les transporter à la main.
Nous nous sommes approchés de la tache sombre rectangulaire qui se détachait, entre les deux pics. J'ai cru que mon cœur allait exploser quand trois silhouettes fantomatiques, noires, et vêtus de vêtements qui semblaient en haillons ont surgi sur le coté de notre route. C'était un double binôme de tireurs embusqués et observateurs qui protégeait le camp, tapis jour et nuit dans les sables. Ils sentaient l'urine, la sueur et les excréments de façon épouvantable. Ils se sont dressés et ont salués le général qui les a félicité pour leur travail, puis ils sont repartis, et un clin d'œil, ils avaient disparu.
Puis nous sommes arrivés sur la zone. C'était crépusculaire, étrangement gothique. Les pics s'élevaient comme les tours d'une cathédrale, occultant le soleil. Au centre, l'ouverture donnait sur le néant. En demi cercle, convergeant vers l'ouverture, sur une surface immense, les tombes ouvertes. Elles étaient recouvertes de plastique blanc qui flottaient comme des linceuls éthérés sous le vent du désert. Ce foutu général avait parlé de « quelques trous », il y avait plus de cent tombes. Cent morts qui se prosternaient ou suppliaient une puissance oubliée.
Marchant entre les tombes, nous sommes arrivés devant l'ouverture. 2 mètres de haut - ce qui est considérable pour des mésopotamiens, car les hommes de l'antiquité étaient relativement petits. L'ouverture était gravée de signes. Le soleil irradiant dominait. Des créatures humaines semblaient briller aussi, comme des soleils, ou des figures saintes du catholicisme. J'ai pensé aux Annunakis mésopotamiens - des dieux ou des juges des enfers. Selon ma bible épaisse des mythes mésopotamiens, les Annunakis étaient recouverts de Melam, une substance inconnue qui brillait comme le soleil.
J'ai fait remarquer au général que je n'avais pas reçu le rapport de l'archéologue qu'il m'avait promis. Il a rétorqué, acide, que j'avais fait que dormir entre temps, et que cela n'était pas mes affaires, puis, reprenant une composition plus aimable a dit : « Je vous l'enverrai. Il n'y a pas grand chose à dire. Cet endroit s'appelle juste la Maison du Soleil, ou la Porte du Soleil. Mais on a bien visité l'endroit et je vous rassure : il n'y a pas de soleil ici. »
J'ai pensé : ou la route du soleil. Gilgamesh, avant d'arriver au Jardin des Dieux, avait suivi pendant 24h la route du soleil. Coïncidence étrange, mais les coïncidences restent des coïncidences. Si Emma m'avait parlé de franc maçonnerie à ce fichu repas, je verrais dans les motifs de la porte des symboles maçons, dans les tournures de phrases des militaires des symboles secrets, et je m'attendrais à voir au bout du couloir non pas un jardin de lapis lazulis mais une cérémonie d'initiation. Le monde est plein de coïncidences qui n'ont pas vocation à être expliquées : elles existent parce qu'on a le luxe de n'avoir rien à penser, que le cerveau s'emballe pour éviter par ennui de penser à la mort et aux fautes du passé, à porter le poids d'une culpabilité imaginaire - mais si on m'avait donné de quoi m'occuper ces derniers jours, Gilgamesh serait le dernier de mes soucis.
Je ruminais ces affaires de coïncidences sans m'apercevoir que moi, Diane et le général étions en train d'enfiler des combinaisons étanches de protection alimentées en oxygène par un long tuyau extérieur. Habituellement utilisées pour manipuler des contenus bactériologiques ou neurotoxiques sensibles, elles nous permettraient de ne pas subir les symptômes, mortels au bout de 6 minutes, de l'hyperoxie, et peut-être nous prévenir de l'action des microorganismes exotiques qui auraient pu se développer auprès d'une flore non carbonée.
Nous nous sommes enfoncés lentement, avec une démarche lunaire de cosmonautes encombrés, dans le couloir, suivant le général. Il tenait un bâton lumineux pour nous guider. Il était impossible de mesurer la distance parcourue. C'était bigrement long. J'entendais Diane qui haletait dans le dispositif de communication. Je voulais voir ce qu'il y avait au bout, mais je maudissais le fait que désormais, chaque matin, et peut-être pour le restant de mes jours, je devrais faire cette longue marche.
Le général s'est arrêté et a montré devant lui. Du plafond émergeait une racine poilue, aux motifs d'écailles carrées, aux teintes noires et violacées. Une racine d'arbre.
Nous n'y sommes pas encore, dit le général, mais un des échantillons de flore exotique viennent de cette raçine.
Il y avait donc une caverne au-dessus ? Un accès à la lumière ? Je le saurais bientôt. Le général montra quelque chose en dessous de la raçine. Une plaque végétale, semblable à un nénuphar, large comme tout le couloir. Toujours violacé. Probablement basé sur du silice.
Il avance dans le couloir en marchant dessus et nous le suivons. Quand je passe dessus, je sens une petite décharge électrique dans mon épiderme, comme de l'électricité statique. Même Diane sursaute. Je demande ce qu'il vient de se passer.
Diane me répond simplement : « Ça, c'est un des nombreux mystères que vous allez devoir élucider. Ne vous attardez pas. Nous arrivons à destination. »
