Adoration et sacrifices

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Le général a pris la parole.

Le Yémen est dans une guerre civile depuis des années. Une guerre meurtrière, et surtout incompréhensible, entre rivalités claniques, schismes religieux, intérêts saoudiens et qataris, ONG patrimoniales et convoitise énergétique occidentale. S'ajoutent à cela les terroristes qui frappent nos nations et qui trouvent refugent ici, dans la poussière des bombes.

C'est un pays de roches, percé de tunnels de l'Égypte jusqu'à l'Afghanistan. Grottes naturelles, cryptes antiques, excavations de contrebandiers, les victimes et les bourreaux, les militaires et les civils arpentent les souterrains à l'abri du soleil du désert.

L'Opération Scorpion, que dirige le général, a pour but d'infiltrer les tunnels dans cette zone sud du Yémen, entre les montagnes et l'océan, et de débusquer et désarmer, en faisant le moins de victimes possible, les combattants qui s'y trouvent.

Dans le cadre de cette opération, les militaires ont découvert il y a 3 mois, entre deux pics sans nom, une ouverture des plus étranges. Rectangulaire, taillée dans la pierre, gravée de symboles anciens, surmontés d'un soleil. Avant d'aller plus loin et conformément au protocole, l'armée a fait venir un archéologue. Il n'était pas exclu que nous nous trouvions devant des tombeaux et la partie émergée d'un iceberg archéologique qui aurait l'importance de la vallée des rois.

Ce n'était pas le cas. Disons, presque pas le cas. C'était un couloir taillé qui s'enfonçait dans la montagne. Le site était mineur et se résumait, a priori, à un simple fronton taillé et à un couloir rectangulaire aboutissant sur une grotte naturelle, comme si l'ouvrage avait été abandonné pour être repris plus tard. Cependant, pour protéger les tombes, les despotes antiques procédaient souvent à la création, non loin, d'autres tombes, des fausses tombes, pour décourager les pilleurs. Il n'est donc pas impossible que la zone soit une découverte majeure...mais cela prendrait tout son intérêt après la guerre, si celle-ci devait finir un jour.

À ce moment, j'ai interrompu le général pour connaître la nature des symboles anciens. Ce n'est pas rationnel comme question et on s'est tous regardés bizarrement. Même moi je me regardais bizarrement ! Et pourtant...la question me semblait importante, je ne sais pourquoi. Il a grogné que c'était du mésopotamien, babylonien, que sais-je, et qu'il me donnerait le rapport de l'archéologue. Il continue.

Notre archéologue était un peu borné. Un peu dans votre genre, me dit le général, à n'en faire qu'à sa tête. Il s'est mis à faire des relevés et des trous tout autour de la zone d'entrée. Il se trouve qu'il y avait un nombre considérable, disons, une centaine, de corps très anciens. Des bouts de squelettes dans le sable. Ils avaient été enterrés face contre terre, les bras au-dessus de la tête, comme en adoration ou en supplication. C'était sinistre. Selon l'archéologue, cela démontrait qu'un nombre considérable d'ouvriers avaient été selon lui sacrifiés au moment de la complétion du site, et que par conséquent les tombes devaient être nombreuses et immenses. Le ton du général trahissait le fait qu'il n'estimait pas trop l'archéologue.

Actuellement, poursuivit-il, nos fins diplomates mènent des intrigues de cour pour avoir l'exclusivité de la découverte et de l'exploitation du site auprès de l'UNESCO. Mais venons-en à vous. J'avais mis une petite escouade de fortes têtes au service de l'archéologue, histoire de faire les pieds aux uns et à l'autre. Vous vous souvenez de ces histoires de malédictions qui frappent les profanateurs de tombes ?

Ils sont revenus des excavations un peu changés. Ils sont revenus guillerets, chantant des chansons paillardes. Presque insolents. L'un d'entre eux s'est senti mal. Tachycardie. Un autre voyait le monde tourner.

Je l'ai coupé : euphorie, tachycardie, nystagmus, c'était un des symptômes de l'hyperoxie hyperbare. Quand on a trop d'oxygène dans l'atmosphère et le corps. J'ai regardé Diane, qui hier me parlait de l'atmosphère toxique d'un monde aux océans de peroxyde, un air surchargé en oxygène, où le corps ne peut vivre que six minutes.

Oui, me fait le général. La caverne naturelle était riche en oxygène. Alors, j'ai fait un rapport, et le haut commandement a fait venir Diane. Elle a découvert ces plantes au silicium, et d'autres choses, dans la caverne en question. Rien de bien extraordinaire à mon avis : rien qui va mettre fin à la guerre. Mais voilà, notre nation n'est pas avare d'honneurs et de gloire, et la gloire, ça se gagne aussi avec des prix scientifiques et des découvertes universitaires.

Une vallée des rois, des centaines de tombes, et nous sommes ceux qui vont les découvrir. Nos musées vont abriter ces trésors car la guerre ne cessera jamais ici. Ils attireront l'attention du monde entier et les porte-monnaie des touristes, les dons des industriels et la passion des meilleurs étudiants étrangers.

À part que si je dois en croire Diane, vos petites plantes valent plus que tous les trésors des pharaons. Donc on a demandé à recruter quelqu'un capable de prendre ce potager souterrain et de le transformer en gloire. C'est pour ça qu'on vous a recruté, et qu'on a acheté ce matériel hors de prix.

Si cela ne tenait qu'à moi, vous n'êtes pas qualifié pour ce travail. Vous racontez votre vie sur votre dictaphone, là. J'espère que vous ne pensez pas partir avec à la fin de votre mission. Et ce n'est pas tout. 5 minutes dans l'hélico pour Darsa et vous déballiez tout à Diane. En plus de rompre votre engagement de confidentialité, vous avez un tempérament instable et vous avez fait une mauvaise impression à ma référente scientifique concernant votre résistance au stress.

Cependant, elle maintient que vous êtes le plus qualifié pour cette mission. Alors on va faire avec.

Prenez du repos. Demain, on va visiter l'excavation. J'espère que les squelettes ne vous font pas peur.

SiduriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant