18 - Lumières

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Expédition...disons, expédition 9. J'en étais là, c'est ça ? Tel un Annunaki, je me suis oint de Melam et j'ai descendu un sentier en pente douce sur le flanc de la montagne.

Tout d'abord couvert de mousse, la pierre s'est dégagée après quelques centaines de mètres d'altitude. Des marches tassées et anciennes, de schiste. Mais des marches. Probablement taillées. Mon chemin continue vers le bas. Ce que je peux voir est barré de cette brume que je n'avais pas pu traverser par le bas.

Mon chemin oblique brusquement et entre dans la montagne dans une ouverture étrangement ronde. À l'intérieur, une caverne illuminée comme une cathédrale gothique, par de nombreuses fissures dans la roche qui forme des puits de lumière. Des tiges de plante violette, large comme des troncs, font office de colonnes et s'entrelacent au plafond. Et au niveau du sol, ces nombreux binômes « nénuphar / racine poilue » violette font office de statues de saints. Elles sont grandes comme des hommes. Je les touche...je ne sens pas d'électricité statique comme dans le sous-sol qui m'a mené à ce monde. Dommage. Une source d'électricité, même difficilement exploitable, aurait pu m'aider.

La structure de la plante me confortait dans une hypothèse : du sous-sol où j'avais émergé jusqu'au sommet, de la petite tige violette aux colonnes de cette grotte, il n'y avait qu'une seule plante, un seul organisme titanesque, qui devait se sentir bien seul. Mais n'est-ce pas la condition de tous les dieux ?

Je ressors du mystérieux sanctuaire. Le chemin taillé descend encore et le pénètre dans la brume. Bon, je ne vais rester trop longtemps là-dedans...je sais ce qui m'attend. Et puis je les vois. Ils sont sur les marches, allongés sur le ventre, rampants. Des squelettes anciens, d'humains. Et je ne les rêve pas, je ne suis pas intoxiqué : ils sont bien réels. Il y en a dix ou douze à portée de vision, mais j'en imagine des centaines, des milliers d'autres derrière dans le brouillard. Les deux bras accrochés aux marches, tentant d'avancer, ou alors un bras en avant, suppliant les dieux antiques qu'ils tentaient de rejoindre.

Après la stupéfaction, j'ai une crise de panique. Je remonte, rapidement, le souffle court. Le soleil se reflète sur le Melam sur ma peau et je suis aveuglé. Je reste prostré un moment dans ma cabane. Ça va mal se terminer. Je peux vous le dire, à présent.

Dans les jours qui suivent, pour évacuer ces sombres pensées, je me suis concentré sur un nouveau travail : comprendre la génération d'électricité statique de la configuration Racine / Nénuphar. Si je pouvais maîtriser cette énergie, et avec beaucoup de travail et d'espoir, et bien j'imaginais dans un délire pouvoir partir sur ce continent lointain que je voyais là haut dans le reflet de la planète jumelle.

J'ai créé six boutures de Siduri, qui malgré la lenteur du métabolisme ont pris, et même ont pris très rapidement. Ce n'est pas anormal chez les végétaux où la croissance est souvent rapide au début. Le fait que j'ai travaillé la terre schisteuse sous les plants a peut-être aussi permis une meilleure prise. Je les ai nommées, ces boutures, Ninkasi, Nabu, Namtar, Nanshe, Nindaba et Isimud, tous des dieux cousins de Siduri. Bien que la grande plante ne soit pas douée de conscience, elle a tourné, au fil du temps, ses yeux-fleurs avec curiosité sur les coupures que je lui ai entaillées et les petites pousses. Isimud est ma plus grande fierté : il a une croissance encourageante, et il a développé aux subdivisions des branches de minuscules petits duo nénuphars / racines qui ne produisent pas d'électricité...pour le moment.

Dans mon délire dieux sumériens et jardinage, je me suis dit que je commençais ce qui ressemblait à un potager de monastère. Et j'ai levé les yeux. J'avais dit que j'étais dans une cuvette vaguement rectangulaire, aux parois dressées. C'est une façon compliquée de dire que j'étais entre quatre murs. Sans trop y croire, j'ai commencé à retirer la mousse brune d'un mur. C'était un mur de pierres schisteuses, lisses, préservées. Gravées. Des silhouettes d'hommes et de dieux. Et cette écriture de traits étoilés, l'écriture des sumériens. J'étais dans un temple. Ils avaient réussi à grimper jusqu'ici dans les temps anciens. Ils avaient écrit leur histoire ici. Et je ne pouvais pas la lire ! Je ne pouvais pas la lire ! Je ne pouvais pas la comprendre ! Il me fallait Emma, mais elle était loin, dans l'espace et le temps, peut-être. Je ne pouvais même pas prendre de photo. Même pas recopier l'ensemble des textes : il faudrait dégager trop de Melam, et mettre en danger l'équilibre atmosphérique de l'endroit.

Un vent froid m'a fait trembler. Plus froid que d'habitude. Une obscurité nouvelle s'étendait. Je lève encore les yeux : l'immense lune éclipse dans son sommet le petit soleil brillant. La nuit tombe sur l'océan d'où montent des étoiles nouvelles. Une nuit radicale, sans aucune lumière, sur ce monde sauvage. Très rarement, très brièvement, ce monde connait la nuit. La température tombe en flèche. L'atmosphère se charge de cristaux gelés. Je me blottis dans ma combinaison étanche, et dans ma cabane, en utilisant l'isolation de l'air. Je regarde la lune avec impatience. Combien de temps va durer cette nuit glacée ?

Et puis je vois des lumières. Pas sur l'océan, pas sur ma colline, dans la planète jumelle, dans la lune. Je sors, tremblant, pour mieux le voir. Cette planète n'est pas habitée ou brillante : ces lumières sont dans l'océan miroir. Sur le continent au loin, dans les structures géométriques titanesques, des lumières intenses, éparpillées selon des schémas organiques, si puissantes qu'elles éclairent le ciel jusqu'à sa planète jumelle et retour. J'ai l'impression de voir ces cartes de nuit des mégalopoles humaines, tissant leurs réseaux de lumière avec un mélange d'optimisation rationnelle et de folie aléatoire. C'est un spectacle merveilleux d'étrangeté et de familiarité.

Je regarde à l'horizon, en direction du continent inconnu. Il y a là-bas une civilisation puissante, maîtresse de l'énergie, capable d'organisation, de structure, de construction, donc de science. Donc de curiosité. Et potentiellement d'amour. Je dois la rencontrer.

Mais comment ?

SiduriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant