Le début de ma fin

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Septembre 2005

Je rencontre Lucas le jour de ma rentrée au collège, j'ai dix ans, je joue encore aux Barbie et à la poupée. Je ne me suis jamais posé la moindre question sur l'Amour, je n'y ai même jamais pensé, après-tout j'ai dix ans.

Ce jour-là, je rejoins l'abribus du village dans lequel j'ai grandis, accompagné de mon frère aîné et j'y retrouve mes copains de l'école primaire qui, comme moi, s'apprêtent à passer leur premier jour au collège. Un grand changement dans la vie d'un enfant. J'y retrouve également les anciens, je les connais aussi même s'ils ont deux ou trois ans de plus que moi. Et c'est parmi eux que se trouve Lucas.

Lucas, je l'avais oublié. Il avait quitté l'école primaire depuis deux ans et n'y était resté qu'une année. Et encore, je crois me souvenir qu'il était arrivé en cours d'année de CM2. Je me rappel seulement de la mauvaise impression que j'avais eu de lui à cette époque : un parisien qui débarque dans la campagne normande, un bagarreur dans cette école primaire ou tout le monde se connaît... Et puis, ma mémoire de petite fille est passée à autre chose. Jusqu'à aujourd'hui.

Vous croyez au coup de foudre ?

Moi je n'y ai jamais pensé. l'Amour, les coups de foudre, les sentiments romantiques... Tout ça c'est bien loin au-dessus de ma tête et de mon cœur d'enfant.

C'est ce qu'on croit. Personne n'imagine qu'un enfant de dix ans puisse tomber éperdument amoureux au premier regard, comme un adulte. Un amour profond, si profond que l'enfant finira par s'oublier lui-même. Non, personne n'imagine cela, à moins de l'avoir vécu. Et j'en suis.

Quand je croise les yeux de Lucas ce matin-là, mon cœur explose. C'est comme une révélation, une évidence. Il a les yeux bleu océan, brillant de malice. Il a les cheveux blonds et un visage d'ange accentué par son perpétuel sourire ravageur. Il porte un jean ample, c'est la mode du pantalon qui vous tombe sur les fesses et qui dévoile vos sous-vêtements. Son sweat à capuche est ample lui aussi, il nage dedans mais ça lui va bien.

Je ne mets pas tout de suite un nom sur ce qu'il provoque en moi, ça viendra plus tard. Je suis intimidée : entre le stress de la rentrée et ce garçon, je ne dis pas grand-chose jusqu'à l'arrivée du bus dans lequel nous montons tous. Je choisis un siège, m'installe et étrangement, Lucas décide de s'asseoir à côté de moi.

Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas ce qu'il a vue en moi ce matin-là pour choisir de s'asseoir à mes côtés alors qu'il aurait pu choisir un ami. Quoi qu'il en soit, c'est le début de la fin pour moi. Parce que durant ce trajet de trente minutes à peine, Lucas et moi créons un lien qui ne fera que se renforcer et qui sera responsable de la destruction d'une partie de moi plusieurs années plus tard.

Si seulement j'avais su...

Durant ce trajet en bus, je découvre un garçon sociable au sens de l'humour incroyable, doux, qui sait mettre les gens à l'aise. J'en oublie presque ma rentrée au collège. Une complicité s'installe très rapidement entre nous. Je n'ai jamais ressenti ça avant, là aussi c'est une évidence : on s'entend parfaitement bien et le temps le confirmera.

Très rapidement, je constate que Lucas à un cœur d'artichaut : il change de copine très régulièrement, il arrive que certaines reviennent plusieurs fois mais rien ne dure jamais très longtemps. Je constate aussi qu'il est le genre de garçon que toutes les filles aiment, à mon grand désarroi : il les attire et les envoute de son sourire, de ses magnifiques yeux bleus et de son humour. Enfin, j'imagine que c'est cette combinaison qui les fait fondre de la même façon qu'elle me fait fondre moi quotidiennement. Oui, parce que chaque jour j'en tombe un peu plus amoureuse, comme si c'était possible. Notre amitié de plus en plus solide et profonde ne fait qu'accentuer mes sentiments. Pour être honnête, je ne suis son amie que parce qu'il me voit comme telle. Je me contente de prendre ce qu'il me donne.

Les premiers mois qui suivent cette rencontre, nous les passons ensemble : dans le bus le matin, dans la cour du collège dès que nous en avons l'occasion dans la journée, à nouveau dans le bus le soir. Je ne lui cours pas après, il me retrouve de lui-même, laissant ses copains pour passer le temps de la récréation avec moi, et je fais de même avec les miens : je suis bien trop contente de passer du temps avec lui.

Le premier coup de couteau dans le cœur ne tarde pas à arriver, le premier d'une longue série. Un jour il me dit qu'il faut qu'on arrête d'être ensemble dans la cour. Ses copains commencent à jaser et à se plaindre qu'il n'est jamais avec eux. Il pense également qu'il faut que je sois avec les miens, on se verra toujours dans le bus après tout.

J'acquiesce. Je ne me vois pas faire une crise de toute façon. Mais j'ai mal. Je le prends comme un rejet et d'une certaine manière s'en est un.

Ce changement va modifier mon quotidien. J'adorais les journées parce qu'il était là, avec moi. Devoir me contenter des trajets en bus a été difficile. J'ai des amies pourtant, je ris autant avec elles qu'avec Lucas mais évidemment, ça n'a rien à voir. Bien malgré moi je garde toujours un œil sur lui dans la cour. Je ne sais pas ce que j'espère, ce que je cherche exactement mais c'est plus fort que moi, d'ailleurs bien souvent je ne me rends pas compte que j'ai bougé en même temps que lui.

Mon comportement me trahis et, bientôt, tout le monde sais que je suis amoureuse de Lucas. Lui le premier. Pour autant, nous n'en parlons pas, notre amitié est toujours la même, profonde et sincère et nos moments ensemble pleins de rire et de complicité. Je grandis auprès de lui et des autres. Dans le bus les conversations des garçons plus âgés vont bon train (si vous pensez qu'au collège on échange encore des cartes pokémons...). C'est le meilleur moment de la journée, le bus. Surtout le soir. Notre joyeuse bande a élu sa place dans le fond, à l'abri des regards du chauffeur suspicieux. Nous ne sommes pas en reste pour faire des bêtises : les batailles d'eau à l'aide de seringues entre les sièges lorsque l'été arrive, les cris que cela génère, les changements de place pendant le trajet...

Ma répartie se développe fasse aux garçons, je ne me laisse pas faire et ça amuse beaucoup Lucas que notre amitié a rendu très protecteur envers moi et qui apprécie également de se frotter à cette facette de moi. Je me sens privilégiée et pourtant, c'est un comportement naturel chez lui qui passe inaperçus aux yeux des autres. Mais je sais qu'en cas de besoin je peux compter sur lui, la réciproque est vraie.

Mon enferOù les histoires vivent. Découvrez maintenant