Chapitre 2: La lettre

408 28 135
                                    

Charlotte s'appliqua durant les jours qui suivirent son retour, à se montrer aussi enjouée qu'à l'ordinaire. Elle se força à participer à la vie de famille, à aider sa mère dans les tâches quotidiennes , malgré les constants reproches de celle-ci .

- Pourquoi n'as-tu pas pris ce fichu vert ? Regarde toute cette boue sur tes souliers !

N'hésitant pas à s'acharner de nouveau.

- Tu t'es encore trompée dans la commande que tu as passé chez Johnkin.

Catherine cherchait toutes les raisons pour la reprendre. En fait, elle lui en voulait et ne comprenait pas comment, sa fille aînée, entourée comme elle l'avait été à Sanditon, n'avait pu se trouver un mari. Ses récriminations portèrent sur l' humeur de Charlotte. Elle tenta de ne rien laisser paraître, continuant à s'occuper de ses cinq plus jeunes frères et soeurs, et à converser avec les aînés de sujets qui l'auraient intéressés par le passé. Mais son esprit était souvent occupé par des pensées et une morosité qui perduraient, la plongeant dans un accablement que seuls le mouvement et l'occupation pouvaient dissiper. Elle s'isolait quelques minutes sous des prétextes aussi invraisemblables qu'imaginatifs, camouflant à son retour ses yeux rougis par les larmes.

Même si, elle donnait parfaitement le change pour la plupart des membres de sa famille. Ce n'était pas le cas, pour ceux qui avait cette faculté d'observer très justement la nature humaine ; ce même regard avisé qui la caractérisait. La jeune fille ne put les leurrer que peu de temps. Un soir après le diner ; son père, sa mère, sa sœur Jane de dix-sept ans, et son frère John de deux ans son cadet l'invitèrent à s'asseoir sur la grande méridienne.Charlotte comprit très vite le but de cette assemblée et réfléchit à ce qu'elle allait leur dire, elle ne pouvait se résoudre à leur mentir. Elle avait déjà éludé nombre de questions dangereuses, dorénavant elle savait qu'elle ne pourrait plus le faire ! Son regard passa d'un visage soucieux à l'autre, sur celui de sa mère elle y décela surtout de la désapprobation. Son cœur se serra en pensant combien elle était la cause de toute cette inquiétude.

Trop généreuse pour continuer à tourmenter sa famille, elle leur exposa très succinctement la raison de sa tristesse. Son départ de Sanditon, les adieux fait à ses amis, et sa déception amoureuse. Elle ne dit pas son nom, ne donna aucun détail, ne faiblissant pas non plus devant sa mère qu'elle regarda droit dans les yeux, tout le temps que dura son aveu. Elle poursuivit même lorsque le visage de Catherine se décomposa. La jeune fille n'avait pas recherché délibérément à la chagriner et ressentit un pincement au coeur. Elle n'agissait jamais à dessein dans le but d'embarrasser mais elle tenait à son indépendance d'esprit. En cela, sa mère et elle différaient. Charlotte aurait voulu lui crier qu'elle n'avait pas besoin d'un homme pour se réaliser. Mais aujourd'hui, la jeune fille en était incapable, car dans son coeur l'injustice et la souffrance de la perte de Sidney prenait toute la place.

Quand elle termina, ils eurent l'intelligence de ne pas lui en demander plus. Ils ne l'accablèrent pas mais l'entourèrent de leur affection la soutenant du mieux qu'ils le purent. Même sa mère choquée resta en retrait, silencieuse et blafarde. Une fois les autres couchés, son père l'invita à l'accompagner en direction du pont. Alors, elle sut que la conversation n'était pas finie. Les seuls moments, où il la conviait à l'accompagner, c'était pour s'entretenir avec elle sur des sujets graves ou sérieux.
Charlotte prit sa cape avant de sortir. Les soirs de fin d'été étaient assez froids. Quelques minutes passèrent, avant que la jeune fille ne se décidât à le rejoindre, il fixait l'eau en contre-bas. Elle n'eut pas le cœur à le tirer de sa rêverie. Quand il se tourna enfin, il lui pressa le bras en signe de compassion.

Charlotte prit la première la parole.

- Ne vous en faites pas père, je guérirai bien vite de cette affliction, déclara-t-elle d'un ton faussement léger.

Sanditon suite mini sérieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant