Chapitre Cinquième

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Les années passèrent et Édouart, toujours aussi muet, était toujours aussi détesté. Les villageois ne voulaient plus le voir et mes parents ne le voyaient même plus, comme s'il n'avait jamais existé. Moi, plongé dans mes études, je ne le voyais plus beaucoup et mes autres frères continuaient leur route du mépris. Mais Édouart ne les voyait pas non plus. Tous se qu'il voyait, personne ne le voyait.

La jeune fille n'avait jamais parlé. Jamais. Les yeux étaient bien plus faciles. Ils pouvaient passer des heures à discuter avec elle en un seul regard. Elle venait dans cette clairière, de temps en temps, rendre visite aux chevaux.

Au début, elle était méfiante, se cachant derrière les arbres et leurs feuillages, puis cela devint une habitude. Elle venait à peu près toutes les pleines lunes, même si les chevaux n'étaient pas là, juste pour discuter silencieusement. Pour le plaisir de plonger dans ces yeux bleus comme le ciel et de n'en ressortir que bien plus tard.

Avec le temps, une sorte de complicité s'était formé entre eux, même si il ne se connaissait pas vraiment. Cette sensation d'avoir trouvé quelqu'un qui nous comprend, qui pense comme nous, qui voit comme nous. Puis lorsqu'elle partait, il restait assis à la même place à fixer le vide, imprimant autant que possible ce visage dans sa mémoire.

Les années s'enchaînaient et pourtant, Édouart ne se lassait pas de ces rendez vous avec elle. Il aimait parler avec elle, la regarder. Tous ces petits détails qu'il n'oublierait sans doute jamais. Je le voyais partir toute les lunes, mais trop absorbé par mes études, je n'y accordais aucune attention.

Après cinq été, il la connaissait sans la connaître. Il avait l'impression de tous savoir sur elle alors qu'il ignorait son nom. Mais à quoi bon connaître un nom si on ne sait pas qui se cache derrière?

Un matin, lorsque Édouart venait d'atteindre sa majorité sorcière, moi et mes frères entreprenions de partir pour un grand voyage. Un voyage qui nous permettrait de découvrir de nouvelles formes de magie, de nouveaux sorciers et de nouveaux monde. Nos parents acceptèrent tous de suite, mais je voulais quelque chose en plus. Je voulais mon frère à mes côtés. Un voyage pouvait peut-être lui être bénéfique et surtout, je ne voulais pas qu'il soit rejeté, encore.

À force de persévérence, mes deux aînés acceptèrent à contre coeur.  Édouart suivit, inexpressif. La seule chose qui l'attristait était de ne plus la revoir. Nous partîmes au levé du soleil la semaine qui suivit. Le voyage dura longtemps. Très longtemps.

Alors que nous passions dans un village, un sorcier très riche avait osé se moquer de nos vêtements poussiéreux et plus particulièrement ceux d'Antioche. Ce dernier n'avait pas du tout apprécié et avait voulu lui régler son compte. Mais heureusement, Cadmus et moi avions réussi à le maîtriser sans trop de problème. Mieux valait être discret. Le coeur rongé par la colère, Antioche nous suivit, les yeux enflammés. Il n'oublierait pas. Et c'est ainsi que nous poursuivâmes notre voyage.

Édouart était perdu dans ses pensées et il lui arrivait souvent de trébucher sur les pierres ou les racines que ses pieds rencontraient. Il pensait souvent à elle. Mais il lui semblait qu'elle n'était jamais bien loin. Jamais.

L'Histoire de mon Frère...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant