Fin(s) du Monde

Contrat (Southeast Jones)

CONTRAT

Il était tiré à quatre épingles et me souriait.

« Mes lettres de créance », dit-il en me tendant un parchemin. Le document attestait qu’il était né Zazel (séraphin de seconde classe), avait participé en tant qu’assaillant à la Grande Révolte et avait de ce fait été banni et confié aux bons soins de Lucifuge Rofocal, né Lucifer (Ange de Lumière). Les autorisations étaient paraphées par Moloch et Béhémoth, contresignées par l’archange Gabriel.

« L’archange Gabriel ?

— Vous croyez que le Big Boss signe les papiers Lui-même ? Il laisse ça à Ses subalternes.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire, je trouve simplement étrange que quelqu’un d’En-Haut avalise un document censé me vouer à la damnation éternelle.

— C’est obligatoire depuis “l’affaire Faust” : les présumés damnés ont des droits, vous ne pouvez pas savoir les tonnes de papiers qu’occasionne un contrat standard... Quand vous signez, vous avez un droit de rétractation de sept jours, pendant ce temps chaque clause est passée à la loupe par une armée de scribes célestes ; si le contrat est approuvé, vous êtes damné. Lisez bien les termes du contrat, ensuite nous discuterons de ce vous voulez exactement. Je me suis toujours demandé ce qui pouvait bien pousser les humains à renoncer au Paradis ; un ami qui travaille à la grande chaufferie m’a donné la réponse, elle tient en deux mots : libre arbitre.

— Que m’arrivera-t-il après...

— Je ne suis pas sûr que vous aimeriez le savoir et si je vous disais que je ne le sais pas, me croiriez vous ? À chacun son Enfer, abominable et solitaire. Venons-en au fait : que puis-je faire pour vous ?

— J’ai peur de la mort...

— Comme tous les hommes ! Vous êtes encore bien jeune, pourquoi ne pas se revoir dans cinquante-six ans ? C’est ce qu’il vous reste à vivre.

— J’aurai soixante-dix-huit ans, peut-être serai-je alors trop sénile pour vous appeler.

— C’est possible... mais regardez moi : je suis un démon. Cette chair, ces vêtements que vous voyez ne sont là que pour vous, mon existence prouve SON existence et de fait vous ne pouvez ignorer la réalité de l’Au-Delà.

— C’est beau là-haut ?

— Désolé l’ami, c’est top secret. Revenons à nos moutons, nous disons donc : contrat de longévité, la durée habituelle est de cent ans, la maison n’est pas responsable des maladies et accidents, vous signez ici.

— Je ne veux pas vivre cent ans je veux être...

— Immortel ? Rien n’est immortel ici-bas, même ce petit univers disparaîtra un jour. Je n’ai pas inventé la Physique ! Les atomes qui constituent chaque chose ont une durée de vie limitée ; dans un avenir effroyablement lointain, la dernière particule élémentaire se désintégrera et ce sera la fin de toute chose. Alors le calme régnera à nouveau.

— Je veux être éternel !

— Fichtre, rien que ça ! Client difficile, j’aime ça. Je suis un bon diable, je prends sur moi de rajouter vingt ans et je vous garantis une vie sans souci, je veillerai personnellement sur vous : ni maladie, ni accident. Signez !

— Je veux l’éternité !

— L’argent, les femmes et la jeunesse jusqu’au dernier jour. Franchement je ne peux pas faire mieux, je ne vous raconte pas le mal que je vais avoir à faire passer ces options. C’est un contrat en or que je vous offre là, vous ne trouverez pas mieux ailleurs. Signez !