Alongside Circée

2 décembre

— Je...

Aucun autre son ne sort de ma bouche.

Salomon me fixe un instant qui me paraît durer une éternité, avant d'empoigner sa valise. Il me jette un dernier regard rempli de déception, les yeux toujours aussi mouillés de larmes.

Sans un mot, il se dirige vers la porte d'entrée et la franchit, s'enfonçant dans la nuit noire qui règne à l'extérieur.

Je reste un moment debout à me rejouer la scène dans ma tête. Qu'aurais-je pu faire d'autre ? Jamais je n'aurais pu lui révéler ma véritable forme, lui qui me voit depuis toujours comme une jeune femme blonde aux yeux verts.

Non, la vérité aurait été bien trop violente. Peut-être m'aurait-il rejeté, par peur ou par dégoût.

— C'est un mal pour un bien, je chuchote finalement.

Parce que pour moi, cinq années correspondent à quelques minutes de ma vie. Ce n'est rien, et cette relation n'aurait jamais pu influencer mes sentiments.

Pourtant, il y a bien quelqu'un qui a compté pour moi, il y a de cela bien longtemps.

— Toki ?

Je n'ai pas le temps de terminer qu'il apparaît devant moi, à demi courbé.

— Oui, déesse Circée ? chantonne-t-il d'un air heureux.

— Prends donc ceci, je réponds en lui tendant un flacon contenant un liquide bleuté. Je compte sur toi pour le diffuser dans le taxi que Salomon ne devrait pas tarder à emprunter.

En prononçant ces mots, j'entends justement une voiture qui s'arrête non loin de notre nid douillet.

— À vos ordres, déesse Circée.

Il disparaît comme il était apparu, laissant flâner après son passage une odeur de bois brûlé. Dans quelques secondes, Salomon aura oublié jusqu'à mon existence.

Et c'est mieux comme ça.

Jamais il n'aurait pu supporter la vie que je lui aurais offerte. Je n'y arrive pas moi-même, des fois.

— Avez-vous toujours besoin de moi ?

La voix de Toki me sort de mes pensées. Il me regarde d'une drôle de manière, comme s'il me voyait pour la première fois.

— Que se passe-t-il, Toki ?

— Vos cheveux, répond-il en haussant les épaules. Et votre peau, elle n'est plus aussi scintillante qu'avant.

Je laisse échapper un petit soupir en me souvenant que je me trouve toujours sous ma forme humaine. Toki n'est pas habitué à me voir ainsi, et encore moins à pénétrer dans cette maison que je partageais jusqu'à ce matin avec Salomon.

Je passe la main sur mon visage et retrouve instantanément ma carnation si spéciale. Mes longs cheveux bleus ondulent, comme si un courant d'air perpétuel venait les animer et mes prunelles se parent de leurs teintes argentées qui caractérisent les divinités de mon rang.

— Et maintenant, déesse Circée ?

Il semble soulagé de me voir telle que je suis réellement. Il doit faire partie d'une minorité, à ce jour.

Les autres auraient plutôt pris leurs jambes à leur cou.

— Et maintenant, il est temps pour nous d'y repartir, je réponds, d'une voix douce et maternelle.

— Bien sûr, déesse Circée.

Il s'incline et s'efface, comme s'il comprenait l'ordre indirect que je lui avais donné. Après tout, cela fait un nombre incalculable d'années qu'il me suit partout et, à force, il commence à me connaître.