C h a p i t r e U n

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North Lincoln – Chicago

Cela avait d'abord commencé dans mes rêves.

Comme des chuchotements presque inaudibles, là au creux de mes oreilles lorsque je sombrais dans le sommeil. Comme un murmure lointain, venant d'une voix qui me semblait si familière et pourtant, j'étais incapable d'en identifier l'auteur. Au départ ce rêve, aussi bizarre fusse-t-il, n'arrivait que quelques fois, sans raison mais petit à petit il semblait installé dans mon esprit, comme s'il voulait signifier plus qu'une simple chimère. Pour tout dire, je n'y comprenais rien.

Généralement il commençait de la même façon, une sorte de monde post-apocalyptique. Une atmosphère lourde et tendue régnait, les arbres qui furent autrefois verts, vivants, étaient ternis, avaient perdu de leur couleur, les branches semblaient brulées, décimées.

Autour, un champ de bataille indescriptible. Des corps, beaucoup de corps, ici et là et le plus étrange, c'est que parmi eux, certains n'avaient rien d'humains. Certains d'entre eux avaient des ailes gigantesques, blanches et noires, d'autres des cornes, des queues. Et puis j'étais là, au milieu de ce massacre, épée à la main, le sang qui restait sur mon arme coulait sur le sol, créant une marre rougeâtre à mes pieds. Le ciel y était rouge sang, pas un nuage, pas un soleil qui pouvait apporter un peu de chaleur dans ce monde sinistre et froid.

A mes côtés des armes s'entrechoquaient, des gens se battaient, beaucoup de personnes se battaient contre ces choses. A chaque fois, je me voyais brandir mon épée, en poussant un hurlement de guerrière, et m'élancer en avant découper ces créatures.

Et c'est là, c'est à ce moment précis que la voix retentissait. Elle me chuchotait toujours la même phrase énigmatique dans une langue inconnue et pourtant j'en comprenais tous les mots « Lorsque le ciel aura coulé ses larmes, sombre sera le monde et brillant sera votre destin, Venefica. » Le rêve semblait si réel, si vivide qu'à chacun de mes réveils je sentais encore le picotement de l'arme que j'avais pu tenir entre mes mains, sur mes doigts.

Et ce soir, je n'y avais pas échappé.

Je m'étais réveillée en sursaut, le corps dégoulinant de sueur, mes cheveux en batailles et collants. Un frisson inexplicable parcouru mon corps et me laissa un goût amer dans la bouche. Nous étions en plein mois de novembre les températures avaient chuté ici à Chicago, mais ce frisson-là, n'était pas dû au froid.

Jetant un coup d'œil à mon réveil suspendu au-dessus de ma commode, je m'aperçue qu'il n'était que 3h30. Prise d'une soudaine soif je me levai du lit à contre cœur et me rendis dans la cuisine.

Mon frère dormait encore dans sa chambre lorsque je passai devant celle-ci. Ashton avait emménagé il y'a quelques semaines de ça dans mon appartement. Fraichement sorti du lycée, il entamait sa nouvelle vie en tant qu'étudiant à l'Université de Chicago. Mes parents vivant à Boston, Ashton avait décidé d'étudier la littérature médiévale à Chicago et résidait chez moi le temps de ses études.

Avoir un peu de compagnie ne me déplaisait pas, j'aimais être seule mais avoir mon petit frère avec moi me rassurait un peu. Ça ne faisait que deux ans que j'avais élu domicile à Chicago et bien que j'y avais trouvé mon travail et quelques amis, mon frère était ma seule famille ici.

Verre d'eau à la main, je contemplai les yeux fixés au loin, Chicago la nuit. Perdue dans mes pensées il m'a fallu un peu de temps pour comprendre que ce que j'avais pris pour un arbuste un peu difforme était en réalité un corps, humain. Ce dernier venait de tomber lamentablement au sol, comme poussé par une force inconnue et gisait par terre. Sans doute un ivrogne ai-je pensé. Pourtant, ma curiosité me poussa à me rapprocher discrètement de ma fenêtre et à y suivre le spectacle.

Je n'aurai sans doute pas dû.

Au sol, gisait bel et bien un homme, mais ce dernier était probablement mort. Une flèche lui transperçait littéralement le torse. Surprise et choquée par ce que je venais de voir, j'étouffai un cri.

Devrais-je sortir voir s'il respirait encore ? Avertir les autorités ? Le meurtrier se trouvait sans doute encore dans les parages, allais-je risquer ma vie pour un inconnu ? La police arriverait-elle à temps ? Tant de questions qui fusionnaient dans ma tête j'étais comme tétanisée, je venais littéralement d'assister à un meurtre, un vendredi soir sous ma fenêtre et ce par une flèche en plein milieu de Chicago.

Mue d'un courage que je ne me reconnaissais absolument pas, j'osai ouvrir la fenêtre et sorti. Mon appartement était situé au 4ème étage d'un immeuble et donnait vue sur la cage d'escaliers de secours ainsi que la rue. J'empruntai ainsi les escaliers, non sans m'être armée de mon téléphone ainsi que d'un couteau. Mieux valait être équipée me dis-je.

Dehors, l'air glacial me fouetta le visage et je ne savais dire si c'était à cause du froid que mon corps frissonnait ou bien de la possible découverte macabre que je risquais de trouver.

La rue semblait déserte et silencieuse. Comme si elle pleurait la mort de cet homme. Malheureusement, le réverbère qui était situé à quelques pas à peine du corps n'éclairait que partiellement les lieux, ce qui me força à me rapprocher davantage. Pas très convaincue, je resserrai ma main autour de mon couteau.

Un pas, puis deux jusqu' à arriver au corps. Me préparant mentalement au choc et à l'horreur que je risquais de voir, j'inspirai profondément et baissai les yeux.

Dire que j'étais choquée à cet instant aurait été un euphémisme. Les yeux écarquillés et totalement abasourdie, je ne comprenais rien.

Le corps avait tout simplement disparu, à la place se trouvait la flèche et des cendres.

Venefica - L'EveilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant