Déchéance

201 30 21
                                    

Rien n'avait laissé présager que cette journée virerait au cauchemar. Le temps était clément. Le soleil brillait dans le ciel, quoique caché de temps à autre par des nuages effilés et cotonneux. Un vent frais s'engouffrait dans les rues londoniennes, murmurant dans un discret rappel que l'automne approchait. Tom était rentré tôt et déjà Merope repérait-elle les signes annonçant la fin de l'envoûtement. Il l'avait embrassé et effleuré délicatement son ventre mais ce n'était plus qu'un pâle reflet de l'enthousiasme dévoué dont il faisait habituellement preuve. Les minutes s'égrenaient et Merope était de plus en plus nerveuse. Un an avait passé depuis leur mariage. C'était un laps de temps amplement suffisant pour que Jedusor n'ait plus besoin de potion pour l'aimer. Tous ces instants partagés, il était impossible qu'ils ne comptent pas à ses yeux.

Une nouvelle heure passa. Tom secouait parfois la tête, se frottait régulièrement les yeux, clignait fréquemment, l'air de lutter contre le sommeil. Il donnait l'impression de se battre intérieurement, contre lui-même. Son esprit était englué et ralenti. Il cherchait à se tirer de cet engourdissement comme on cherche à échapper de sables mouvants. Puis petit à petit, il reprit le contrôle de son propre corps, de son propre cœur. Sa mémoire était intacte, et pourtant il avait l'impression de regarder ses propres souvenirs à travers du verre dépoli. Il avait la sensation d'avoir été... possédé. Il se rappelait nettement ce jour d'été où il se rendait à Great Hangleton, son cheval s'était cabré. Il était tombé, la fille du miséreux lui avait proposé un verre d'eau. Ensuite, c'était brumeux. Sauf...

    - Toi ! s'exclama-il avec véhémence.

Merope sursauta violemment. Il la désignait d'un doigt accusateur. Elle se tassa dans son fauteuil tandis qu'il se levait. Il était à la fois horrifié et furieux.

    - C'est toi qui m'as fait ça ! Sorcière ! cracha-il.

Des images affleuraient dans son esprit. Lui se réveillant, elle indécente et toute proche. La course effrénée pour s'habiller et toutefois encore entravée par les ultimes volutes du philtre. Sa tentative de s'enfuir, une formule démoniaque qui l'avait cristallisé, elle le contraignant à avaler un liquide. Et à nouveau l'impression de vivre sa vie comme un simple spectateur. Il se sentait souillé.

    - Monstre ! Tu m'as ensorcelé, tu m'as... abusé !

    - Tom... gémit-elle en se levant à son tour. Tom, je t'aime ! Et je... je sais que tu m'aimes aussi !

    - T'aimer !? ricana-il impitoyablement, son assurance hautaine retrouvé. Tu n'es qu'une souillon ! Une bonne à rien ! Comment pourrais-je seulement t'accorder un regard !

Chaque mot tombait sur les épaules de Merope comme une chape de plomb. Elle se recroquevillait, portant les mains à son ventre arrondi dans un geste de protection.

    - Le... le... le bébé... tu dois rester pour le bébé... hoqueta la jeune femme.

Son rire méprisant la fit frémir. Elle l'avait entendu tellement de fois lorsqu'il l'entrapercevait à travers la frondaison des arbres, à Little Hangleton.

    - Je n'en ai cure ! Nul doute que ce sera un monstre, comme toi, comme toute ta famille de dégénérés !

Merope s'était affaissée au sol. Elle était secouée de sanglots. Les mains tendues, elle le supplia mais son regard implacable agit comme une énième gifle. Lorsque la porte claqua, elle cria son désespoir et se roula en boule autour de son enfant.



Toute la confiance qu'elle s'était découverte à l'incarcération de son père et de son frère avait disparu. Elle n'était plus qu'un fantôme fait d'ombre et de fumée, de chagrin et de désolation. Elle se sentait encore plus insignifiante que lorsqu'elle était sous la coupe d'Elvis et Morfin. Dans les jours qui suivirent, elle pleura abondamment, se sustenta à peine. Elle se traîna dans le lit où elle avait connu l'amour avec celui qu'elle croyait être l'homme de sa vie. Elle erra avec l'allure d'un spectre dans l'appartement où elle avait connu le bonheur d'être aimé. Elle serra convulsivement contre elle les vêtements laissés par son époux. Il avait renoncé à emporter ses affaires en partant. Les Jedusor étaient suffisamment riches pour ne pas s'encombrer de pareils détails.

Mirage - Aux origines de Tom Elvis JedusorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant