Quand tout a commencé

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Loth se tenait à la fenêtre de sa chambre d'enfance, regardant le paysage morne et familier de son village natale.

Un instant il pensa à sa vie d'avant.

Le ciel était d'un gris accablant, lourd de nuages menaçants et chaque jour semblait un reflet du précédent, une toile monochrome de tristesse et d'ennui. Il avait espéré que revenir chez ses parents l'apporterait une sorte de réconfort, un rappel de jours plus simples, mais tout ce qu'il ressentait, c'était une suffocante anxiété.

Depuis son arrivée, sa maladie semblait avoir pris le dessus. Les pilules qu'il devait prendre quotidiennement pour gérer sa condition n'étaient qu'un rappel constant de son état.

Elles apaisaient peut-être les symptômes physiques, mais rien ne pouvait atténuer le poids écrasant de sa dépression. Le jeune homme se sentait piégé dans une spirale descendante, où chaque pensée était plus sombre que la précédente.

Ses parents, Arthur et Louisa Armian se voulaient bien intentionnés. Au fil du temps ils étaient devenus des ombres bienveillantes, toujours présentes, toujours surveillantes...

Et leur sollicitude, bien qu'animée par l'amour, lui était devenue insupportable. Leur insistance à vouloir aider, leur pitié voilée, tout cela rendait Loth encore plus irritable et replié sur lui-même.

Il les entendait parfois chuchoter à travers les portes, échangeant des regards inquiets, craignant le pire. Alors il se demandait lui même si il pourrait surmonter tout cela.

Un matin, alors que le soleil peinait à percer les nuages, Loth se leva avec une résolution inédite. Il ne pouvait plus continuer ainsi. Les maux de tête constants, le bourdonnement sourd dans ses oreilles, la sensation d'être une charge pour ses parents le poussaient à envisager l'impensable. Il regarda la boîte de pilules posée sur sa table de chevet. La tentation de mettre fin à cette souffrance était forte, presque irrésistible.

Pourtant, quelque chose au fond de lui le retenait encore. Une petite voix, presque inaudible, lui murmurait de tenir bon, de ne pas céder.

C'etait cette voix, faible mais persistante, qui le poussait à sortir de sa chambre et à affronter un autre jour. Il savait qu'il ne pourrait pas la suivre indéfiniment. Mais pour aujourd'hui, il se contenta de respirer profondément et de descendre les escaliers, prêt à affronter une nouvelle journée dans ce foyer où l'amour et la douleur coexistaient en un fragile équilibre.

Ce matin là, la table était dressée avec soin, une nappe blanche immaculée et des assiettes de porcelaine finement décorées.

Le repas du midi était une occasion pour la famille de se rassembler, mais pour Loth, c'était une épreuve.

Ses parents s'affairaient autour de la table, veillant à ce que tout soit parfait, comme s'ils espéraient que ce rituel de normalité pourrait atténuer sa douleur.

Loth s'assit en silence, observant son assiette sans vraiment voir ce qu'il y avait dedans. Son oncle Jean, un homme robuste aux cheveux grisonnants, était là aussi, de passage pour quelques jours.

Jean était tout le contraire de Noël : plein d'énergie et de vitalité, il parlait fort et riait facilement. Cependant, aujourd'hui, son regard était dur, presque accusateur.

La conversation tournait autour des banalités du quotidien, mais Loth sentait l'inquiétude sous-jacente de ses parents. Sa mère, les yeux pleins de tendresse inquiète, posa sa main sur la sienne hésitante :

« Loth.. tu as pris tes pilules ce matin ? » demanda-t-elle doucement, mais avec une insistance qu'il connaissait trop bien.

Il serra la mâchoire. Mais repondit tout de même : « Oui, maman, je les ai prises. » accompagné d'un regard doux. Il savait qu'elle lui voulait du bien.

Son père, assis à l'autre bout de la table, renchérit. « Et tes calmants ? Tu sais que le docteur a dit qu'il ne faut pas les oublier. »

Jean, qui avait jusque-là observé la scène en silence, lâcha un soupir bruyant et secoua la tête. « C'est incroyable. À ton âge, dépendre de ces trucs... » dit-il d'une voix lasse et désolé.

Loth leva les yeux et croisa le regard de son oncle. Il y vit une froide désapprobation, une absence totale de compréhension. Jean reprit, sans détour.

« Quand j'étais jeune, on n'avait pas le luxe de se plaindre. On affrontait la vie, peu importe les difficultés. Tu devrais vraiment te ressaisir, fils. »

La remarque fit l'effet d'une gifle pour Loth et il sentit une colère sourde monter en lui, une envie de crier, de se défendre de faire disparaître cet ignoble personnage. Mais il savait que cela ne servirait à rien. Son oncle ne comprenait pas, ne voulait pas comprendre. Pour Jean, la dépression n'était qu'un manque de volonté, une faiblesse de caractère.

Et quant à la bipolarité avec laquelle se battait son neveux, il en avait cure. Il estimait qu'en son temps nombre de gens vivait heureux et ils ignoraient qu'ils était malades ! Certes la maladie de Loth l'avait conduit à presque venir à bout d'une personne, mais les excès de colère était courant chez les jeunes. Tel était la vision des choses du quadragénaire.

Et depuis longtemps que notre protagoniste avait perdu tout espoir de le resonner un jour. Quarante années de vie avaient le don de fossiliser les idéaux. Il en avait déjà subit les conséquences le jour où il avait eu le malheur de se confier sur sa possible bisexualité à son oncle.

Tant est t-il que mère tenta de calmer les choses. « Jean, s'il te plaît, ce n'est pas si simple, et... il fait de son mieux. » termina t-elle dans un murmure.

L'homme haussa les épaules, non convaincu. « Peut-être. Mais il faut plus que des pilules pour surmonter la vie. »

Loth baissa les yeux, fatigué. Il savait que sa famille voulait l'aider, mais il se sentait étouffé par leur sollicitude et presque jugé par leur incompréhension.

Le repas continua dans un silence gêné, chacun essayant de prétendre que tout allait bien.

Alors que la conversation reprenait timidement, Loth se retira dans ses pensées, cherchant un refuge intérieur contre les regards et les paroles qui le blessaient plus profondément qu'ils ne le sauraient jamais. Il avait l'impression d'être seul au milieu de sa propre famille, un étranger dans sa propre vie...

Mais il devait aller mieux. Il n'avait pas d'autre choix. Il devait tenir au moins suffisament pour quitter sa conditionelle. Pour rien au monde il voulait retourner en prison...

Opprah Où les histoires vivent. Découvrez maintenant