Why'd you only call me when you're high

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Les images défilaient devant mes yeux. Mécaniquement, mes doigts s'acharnaient sur la manette, sans vraiment y faire attention. La luminosité de l'écran de l'ordinateur était la seule source de la lumière de la chambre. Celle-ci était plongée dans l'obscurité, à cause de l'heure tardive.
La grande baie vitrée qui donnait sur les hauts immeubles de la ville diffusait, elle aussi, une douce lumière multicolore qui se déversait dans la pièce.

Je me redressai sur mon fauteuil de "pro gamer" qui m'avait supporté toute la journée et éteignis mon ordinateur, en évitant de jeter un coup d'oeil à l'heure.
J'avais enregistré toutes mes séquences de vidéo pour aujourd'hui et en avait commencé le montage, avant de ne plus réussir à me concentrer.
J'avais alors commencé à jouer pour moi. "Pour le plaisir". Si l'on pouvait appeler ça un plaisir.
J'avais surtout commencé à jouer pour arrêter de penser, pour arrêter de ressasser le passé.
Pour éviter de remuer l'océan endormi, de souvenir dans lequel je coulais encore bien trop souvent. Même après cinq ans.

J'attrapai une boite de reste de pâtes dans mon frigo et les mangeais, assis sur mon canapé dépliant, admirant la vue des hautes tours, toujours la seule source d'éclairage dans la pièce.
Mon appart -un petit une pièce, perché en haut d'une tour, dans le quartier d'affaires de la ville- était bien aménagé, avec le strict minimum : une salle de bain et un salon qui faisait chambre, cuisine et bureau.
Le seul élément clé de cet appart impersonnel était sa vue imprenable.

Ayant fini mon bol de pâtes blanches, je dépliai mon canapé pour en faire un lit, et m'y couchait, me cachant dans la couverture.

Le sommeil ne venait pas cette nuit là. Les lumières de dehors étaient trop aveuglantes, trop mouvantes. Trop lumineuses.
Je pris mon téléphone et surfais un peu sur YouTube, pour voir les statistiques de ma dernière vidéo. Mon patron allait être content, les vues avaient explosé.

Je soufflai, me recouchant, mon téléphone toujours dans une main.
J'avais commencé en tant que YouTubeur il y a trois ans. Au début, je me contentai de streamer comme tous les autres, un jeu, y jouer, et donner un avis dessus. Je n'avais jamais été très cocasse, donc je parlais peu, et donnait un avis construit de manière "professionnelle". Ma chaîne avait mis énormément de temps à démarrer, puis avait pris de l'ampleur chez les passionnés qui cherchaient du sérieux.

Peu de temps après son décollage, j'avais été contacté par un concepteur de jeu vidéo, qui me proposait de tester ses jeux gratuitement. De fils en aiguille, je m'étais retrouvé à leur donner des conseils, à corriger des bugs, à écrire des articles,...
La compagnie m'avait donc embauché et je baignais maintenant dans l'industrie des jeux vidéos. Entre les tests, les vidéos, les articles et les réunions, j'étais très occupé. J'effectuai la plupart de mes taches par appel quand il s'agissait de travail direct, ou je m'y attelais seul. Ainsi, je ne me rendais quasiment jamais sur mon lieu de travail.
"Le job parfait" en somme.

Je fermai les yeux. Je tentai de me concentrer, de fermer la vanne de pensées. Mais ce soir faisait parti de ceux où le sommeil était irrattrapable. Ceux où le barrage se casse en morceaux et où les pensées jaillissent en emportant tout sur leur passage.
Ce genre de soir où la nuit sera très longue.

Mon téléphone vibra brusquement, me faisant sursauter, et éblouissant mes yeux fatigués.
Je le ramenais délicatement vers mon visage, à moitié caché dans l'oreiller, et lu le nom qui s'affichait sur l'écran, en me demandant qui pouvait bien oser m'appeler si tard.

Mon coeur rata un battement.

"Kuroo" s'affichait sur l'appareil vibrant.

Puis en rata un autre.

Ma main se mit à trembler légèrement et mes idées s'envolèrent. C'était le fouillis dans ma tête.

Il redémarra doucement.

Pourquoi rappeler maintenant ? Pourquoi rappeler après autant de temps ? Pourquoi devrais-je répondre aux siens, après qu'il ai temps évité les miens ?

Et s'emballa.

Je fus incapable de me décider à appuyer sur le bouton vert et l'appel prit fin.
Aucune alerte de la messagerie m'indiquait qu'il avait tenter de laisser un message.

J'aurais mieux fait de dormir. Maintenant c'était trop tard, bien trop tard. Mes réflexions tourbillonnaient, des questions s'insinuaient. Les souvenirs menaçaient de remonter.

Cinq ans.

Cinq ans, que je consacrai toute mon énergie à les enfouir. À les empêcher de me blesser.

Cinq ans que j'attendais cet appel.
Et cinq ans à me préparer pour ne pas y répondre.

Car en cinq ans, j'avais au moins réussi à prendre une décision : Kuroo Tetsuro ne faisait plus parti de ma vie.

22/12/2020

All I wanted [ Kuroken ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant