chapitre 7

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Ukai porte la dernière cigarette de son paquet à ses lèvres et l'allume avec un soupir de soulagement ; il y a eu beaucoup de clients aujourd'hui, et son esprit ne cesse de repasser en boucle la conversation qu'il a eue avec Takeda deux jours auparavant.

Mais qu'est-ce qu'il lui a pris de lui donner pareil espoir ?

Le professeur est pourtant la personne la plus bornée qu'il connaisse, au point parfois d'être terrifiant quand il cherche à obtenir ce qu'il veut.

Il serait sûrement prêt à employer des joueurs professionnels et lui assurer le plus naturellement du monde que ce sont les élèves qu'il a vu sortir du gymnase l'avant-veille.

À cette pensée, il ne peut s'empêcher de sourire.

Décidément... même après cinq ans, Takeda est toujours aussi perturbant.

-Suga, s'il te plaît, écoute-moi au moins !

Deux lycéens entrent brusquement – sûrement pour se disputer à l'abri de la pluie battante – en l'arrachant à ses pensées ; il les regarde, fronce les sourcils.

Pas de doute, ce sont les tourtereaux de l'équipe de Takeda.

-Je passe ma vie à t'écouter ! Je passe ma vie à écouter tout le monde ! Et devine quoi, j'écoute même Tanaka quand il débarque dans les vestiaires en criant qu'il t'a vu en plein rendez-vous avec une fille de deuxième année !

Ukai devrait les interpeller, leur demander de sortir et de ne pas se crier dessus dans sa boutique parce qu'ils pourraient gêner de potentiels clients... mais honnêtement, il n'en ressent pas l'envie. Il veut juste s'installer confortablement sur sa chaise et assister à cette scène de ménage adolescente.

Et puis, il n'y a aucun client pour le moment.

-Justement, tu connais Tanaka, il s'enflamme pour un rien !

-Alors cette fille ne s'est pas confessée ?

Un silence.

Très long silence.

Ukai fume sa cigarette en attendant la suite. En cet instant, il doit beaucoup ressembler à sa mère devant ses séries quotidiennes.

-Elle l'a fait, finit par admettre le garçon brun. Mais...

-Alors Tanaka ne s'est pas enflammé !

-Mais enfin, Suga, c'est pas parce qu'elle s'est confessée que je veux soudainement te quitter pour me mettre en couple avec elle ! Je ne la connais pas, et je te rappelle que je suis amoureux de toi depuis deux ans !

L'autre s'apprête à l'interrompre mais il élève un peu plus la voix, qui en devient presque tremblante.

-Et dans six mois on doit aménager ensemble ! Pourquoi je ferais quelque chose d'aussi stupide qu'aller voir ailleurs quand je t'ai à mes côtés ? En plus j'ai déjà dit à tes parents que je comptais sérieusement t'épouser à la fin de nos études, et crois-moi, j'ai pas vécu ce moment qui était le plus angoissant de toute ma vie pour rien !

Il semble avoir puisé dans ses dernières forces pour cette tirade, mais il doit avoir marqué quelques points d'après les yeux écarquillés du garçon aux cheveux gris.

Ce dernier détourne le regard en se mordillant la lèvre inférieure, les poings serrés contre ses cuisses.

Et Ukai soupire.

-Allez, finit-il par lâcher en se redressant, pardonne ton cher et tendre. C'était simplement un malentendu, apparemment.

Les deux jeunes gens sursautent et se tournent vers lui, comme s'ils se rendaient tout juste compte de sa présence.

Ce qui est sûrement le cas.

-On...

-Vous êtes dans l'équipe de volley de Karasuno, n'est-ce pas ? Finissez-en avec cette histoire, vous inquiétez votre professeur.

Le garçon brun fronce les sourcils.

-Désolé monsieur, mais... vous connaissez le professeur Takeda ?

-Oui, je suis même l'un de ses amis. Vous avez été distrayants mais déguerpissez, maintenant. Allez vous embrasser sous la pluie, sauter dans les flaques en gloussant ou je ne sais quoi d'autre. Mais mangez correctement, dormez suffisamment et arrêtez de rendre ce pauvre Takeda fou d'inquiétude.

Les deux adolescents ouvrent de grands yeux ronds avant de s'incliner en s'excusant plusieurs fois, puis s'enfuient de la boutique.

La dernière cigarette de son paquet finit écrasée dans le cendrier.

Tandis qu'une honteuse pensée se fraie un chemin dans son esprit.

Est-ce que vous auriez eu ce genre de disputes, vous aussi, si tu avais eu le courage d'avouer à Takeda tes sentiments pour lui au lieu de partir lâchement pendant cinq ans ?

Le poids de la dernière bouffée d'une cigaretteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant