chapitre 2

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Takeda s'avance d'un pas qu'il espère nonchalant tout en réprimant un désagréable sourire nerveux ; que faire si Ukai ne le reconnaît pas ? Après tout, la dernière fois qu'ils se sont vus remonte à presque cinq ans.

Mais le jeune homme tourne la tête vers lui.

Et affiche un grand sourire.

-Oh bon sang, Takeda ? Ça fait un bail !

L'interpellé écarquille les yeux durant trois courtes secondes, avant de se frapper mentalement et se reprendre. Alors il se racle la gorge, sourit comme il sourit à ses élèves.

Sincère, mais avec retenue.

-Bonsoir, Ukai. Ton grand-père m'a fait part de ton retour, alors je passe simplement te souhaiter la bienvenue.

Quelques cendres s'échappent de la cigarette presque entièrement consumée.

-C'est vrai que tu es pas mal en contact avec lui. C'est toi qui t'occupes des jeunes de Karasuno, à ce qu'il paraît ?

Malgré lui, Takeda ne peut retenir un discret soupir.

-Oui, j'ai eu du mal au début, et l'équipe est toujours perturbée de ne pas avoir de véritable coach, mais ton grand-père est venu quelques fois me donner un coup de main. Du moins, quand ses médecins lui permettaient de sortir de l'hôpital.

-Allons, s'esclaffe Ukai, tu n'étais pas très bon quand on jouait ensemble, mais tu connais tout de même les bases du volley, ça ne doit pas être si compliqué de former une équipe de lycéens !

Le professeur fronce les sourcils en posant les poings sur ses hanches.

Pas si compliqué ?

-Cette équipe, si ! Mis à part deux dernière année et un deuxième année qui tentent de canaliser les autres, c'est une totale anarchie dès que j'ai le malheur de cligner des yeux !

Tout ce qu'il obtient en guise de réponse est un puissant rire.

Si puissant que non loin d'eux, un chat s'enfuit en renversant une poubelle, pris de panique.

Ukai finit – difficilement – par se calmer, essuie une larme perlant au coin de son œil droit tout en luttant pour reprendre son souffle.

-Ils sont vraiment si terribles ?

Takeda soupire.

-Non, ils ne sont pas terribles, mais ils sont... ambitieux. Pour la plupart, ils ne vivent que pour le volley, et disposent d'une énergie féroce. Il y a un duo exceptionnel, mais leurs exploits sont très hasardeux, personne ne comprend vraiment comment ils parviennent à de tels résultats sans se concerter. Et, évidemment, dès qu'ils s'entraînent pour pouvoir reproduire à volonté leurs passes miracles, ça ne marche pas. Alors ils s'énervent, les autres rient ou leur crient dessus, et ça part en chaos jusqu'à la fermeture. Mais d'un autre côté, ce sont de bons garçons et ils ne désirent que s'améliorer, de façon excessive, certes, mais tout de même, alors je ne peux pas leur en vouloir.

-De toute façon, tu ne restes jamais fâché très longtemps, toi. Tu es fondamentalement incapable d'être rancunier, plaisante son compagnon.

-Et alors, ce n'est pas une mauvaise chose !

Nouvel éclat de rire.

-Non, non, bien sûr ! Comme dirait ma mère, c'est ce qui fait ton charme.

Avec un clin d'œil.

Clin d'œil qui se veut complice.

Clin d'œil qui fait seulement remonter en lui de vieux sentiments censés être enfouis et oubliés.

Takeda se racle la gorge et lâche un petit rire nerveux en se passant une main dans ses cheveux.

-Bon, c'est pas tout mais il est temps que je rentre, je... je commence tôt, demain. Ça m'a fait plaisir de te revoir, Ukai. Bonne nuit.

-Bonne nuit, passe quand tu veux !

Et le jeune homme s'éloigne de la boutique, retenant un douloureux soupir.

Cinq ans auparavant, en rejoignant un petit club de volley qu'avait monté Ukai par curiosité – et pour aérer un peu son esprit bien trop pollué par les études – il avait développé des sentiments confus pour ce garçon aux cheveux décolorés et au sourire toujours confiant, comme s'il était à la conquête du monde.

Quand Ukai a déménagé pour ses propres études, lui a choisi d'enterrer cette attirance passagère pour se concentrer sur son nouveau métier, en pensant puérilement qu'il l'oublierait bien vite.

Il n'a pourtant fallu qu'un regard, qu'une banale conversation, qu'un sourire, qu'un rire, qu'un clin d'œil pour que son cœur se serre à nouveau.

Le poids de la dernière bouffée d'une cigaretteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant