La société, ou quand notre vie bascule pour des yeux de biche

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À Amityville, il était difficile de voir un article sur un homicide tant la criminalité était faible. Quatre saisons qu'on pouvait résumer à deux seulement, la moitié du temps la ville était recouverte de neige et l'autre, ensoleillée jusque tard le soir. Les civils avaient leur train train quotidien et c'était bien ainsi. Pas d'événements ni de célébrités, c'était une petite ville sans histoire.

Du moins, c'est ce qu'on disait, hors de la ville. La vérité est que le sang coule à flots dans les ruelles mal éclairées et que bien des dictons existent pour prédire ces morts. Le plus fréquent est celui de la pluie, comme celle qui s'abat actuellement sur les façades des immeubles. "Qui dit pluie, dit cadavre au lit." Sympathique n'est ce pas? Et bien ce dicton est vrai. Il y avait bien un corps sans vie dans un quartier, mais pas dans sa chambre ni dans celle d'un ami, plutôt dans un coin, étendu par terre dans la crasse d'un cul de sac. Et les autorités lui tournaient déjà autour alors que le soleil se levait à peine. Nerveuses, elles peinaient à émettre une hypothèse tout en empêchant la presse et les passants d'admirer le carnage avec fascination perverse et horreur enfantine. Il faut dire que le corps n'avait pas seulement été martyrisé.

"- Laissez nous enquêter tranquille! Veuillez reculer s'il vous plaît!"

Hélas, même en étant calmes, ils n'arrivaient pas à leur fin. Les civils voulaient voir afin, pour certains, de créer un scandale sur l'incompétence policière. D'autres pour satisfaire leur curiosité malsaine. Et une autre, pour faire son job.

A première vue, c'était une simple gosse, une adolescente en quête de sensation forte probablement, qui séchait ses cours sans vergogne. En vérité, de tout l'entourage de la victime, elle était la plus apte pour enquêter, elle attendait juste que l'homme qui gardait le ruban jaune d'avertissement baisse sa garde afin de passer en dessous. Son vœu fut exaucé lorsqu'une journaliste particulièrement coriace se mit à l'incendier, prétextant une violation de ses droits à la liberté d'expression. Profitant de l'occasion, elle se baissa, faisant tomber quelques unes de ses mèches sombres sur son visage aux traits fins et à la mâchoire légèrement carrée, un visage quelconque en somme, discret. Pas assez selon l'agent de surveillance qui l'interpella en lui agrippant la manche courte de son T-shirt, dépassé par tout les parasites qu'il devait contenir. Il était hors de question qu'ils passent, surtout une enfant!

- Hey! Vous! Sortez du périmètre!

L'officier était jeune, trop pour connaître tout les secrets et astuces du métier. Sinon, il n'aurait pas interpellé l'enfant qui n'en était plus une. Il avait la main crispée sur son épaule, signe de grande nervosité chez lui d'après la jeune femme qui ne bronchait pas, habituée aux réactions exagérées de ceux n'étant pas prêt pour encaisser de telles épreuves. Il allait faire des cauchemars pendant des semaines à cause de cette affaire dont il n'en verra plus la couleur d'ici quelques heures, du moins, si l'inconnue jugeait que ce n'était plus de leur ressort.

Inexpressive, elle observait l'imprudent. Il était grand, plus grand qu'elle en tout cas, ce qui avait pour conséquence de la faire tiquer, décidément, elle ne trouvera jamais quelqu'un de plus petit qu'elle, à part un nain. Sa silhouette était fine, les doigts calleux et longs, une musculature quasi inexistante. Sur ce point, ils se ressemblaient, bien que la jeune fille avait des muscles que l'on pouvait voir rouler avec aisance sous sa peau, adoucissant légèrement les angles pointues que faisait son squelette épais, lui donnant une condition physique optimale pour les efforts demandant beaucoup en capacités. Mais la ressemblance s'arrêtait là. Alors que lui avait les cheveux bouclés et blonds, elle les avait raides et châtains foncés, presque noirs, agrémentés de divers reflets doux et chaleureux dans des tons ocre, dorés, auburn et roux. Quant aux yeux, ceux de l'adolescente étaient trop parfaits pour qu'on puisse en détacher le regard, on aurait dit deux saphirs dont le bleu vous sondait l'âme sans penser à votre intimité. Elle donnait l'impression de pouvoir voir au-delà de ce que vous vouliez montrer aux gens. Vos secrets les plus intimes étaient à sa merci et l'agent en était si persuadé qu'il déglutit sous la pression de ces yeux énigmatiques, desserrant son emprise sur son épaule par la même occasion. Il suait à grosses gouttes dans son uniforme de policier, alors qu'il pleuvait et que le vent se faisait frais. Ce que l'adolescente appréciait à sa juste valeur, à peine couverte par son long manteau noir qui lui descendait jusqu'à la moitié des tibias, un simple T-shirt noir au slogan écarlate digne d'un film d'horreur:" Death is the life". Charmant pour une enfant qui devrait plutôt s'intéresser à l'écologie et aux animaux. Mais c'était mal connaître la petite qui adorait le noir et la nuit, comme le prouvait son pantalon ample et visiblement trop grand pour elle, de la même teinte que le reste, hormis ses baskets d'un gris triste, anciennement blanches et en bon état. Si la recrue se penchait un peu en avant, il verrait que ce qu'il prenait pour une bretelle grossière de soutien-gorge était en réalité une partie du harnais de son gilet pare-balles, du moins, c'est ce qu'elle semblait porter. En fait, cela la protégeait de bien des chocs et coups dont elle avait l'habitude d'encaisser dans son métier.

Creepyhunters [En Réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant