Without title #54

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###Without title #54
Toute ma vie a basculée une nouvelle fois à cause d'un cheveu. Un simple cheveu dépassant de l'une des cloisons de mon appartement. Quelque chose d'anodin, presque futile. Je venais d'avoir cet appartement quand tout a recommencé. Je viens de faire une soirée avec mes amis proches et je découvre ce long poil, descendant le long du fin mur de ma cuisine, éclairée par une ampoule fatiguée dont la lumière jaunie par la couche de poussière qui la recouvre se projette sur les murs blancs de la pièce principale de mon logement, glissant sur la vieille table de bois. De couleur plutôt foncée, il semble être là depuis des années, ancré dans la peinture comme un parasite dans son hôte. Pourtant, hier, quand j'étais assis dans cette pièce d'allure ancienne, belle représentation du bâtiment, cette chose n'était pas là. Je ne sais pas pourquoi. C'est complètement irrationnel, mais ce minuscule cheveu m'obsède. Il est minuit et cela fait déjà une heure que je l'observe. Comme la racine de celui-ci n'est pas vers l'extérieur, je suppose que celle-ci est dans la peinture, ou même plus profondément, dans le mur ? Depuis combien de temps il est là ? À qui il appartient ? J'en ai assez. Après tout, c'est sûrement Nelly qui a laissé s'échapper un cheveu de sa tignasse et même si la couleur n'est pas exacte, ce n'est pas grave. Tout le monde sait que les cheveux ne sont pas tous pareil sur un crâne. J'irais lui demander demain.
Je tire. Le cheveu est ancré solidement.
Je tire plus fort. Celui-ci cède, mais en emportant avec lui un énorme morceau de la peinture qui pourtant n'est pas écaillé de la cloison. Pourquoi ?
La peinture est là depuis déjà une bonne année. Elle n'a pas connu l'humidité depuis des mois. Il est impossible que le follicule se soit accroché de manière si intense. J'aperçois la peinture qui est sur le dessous de celle que j'ai mis depuis que je suis dans l'appartement. Sauf qu'avant turquoise, elle est maintenant rouge. Rouge sang.
ASSEZ ! Cria mon for intérieur.
Je sais que j'ai bien bu ce soir et je ne peux pas me laisser faire par si peu. Demain tout va aller mieux. Ce n'est pas le cas. Le lendemain, quand je me réveille, j'arrive dans ma cuisine, après une bonne douche froide et j'aperçois la même tache de peinture qui s'est agrandie, mais aussi qui coule le long du mur. Je sais que ce n'est pas de la peinture, mais je ne peux pas m'y résoudre. Je lave, cela me prend longtemps et je commence à me dire que cela va empirer pendant la journée, mais je ne peux pas m'y résoudre. Je dois continuer ma vie. Demain, je vais peinturer une nouvelle fois. Complètement. Je continue ma journée, en essayant de travailler même si je sais ce qui m'attend. Je le remets au fond de ma tête.
Le lendemain, à l'aube, Je me réveille et je me dirige à seulement quelques décimètres de ma chambre pour me trainer vers la salle de bain, où je prends une douche, mais l'eau est noire. Noire et visqueuse. Si seulement c'était tout. Du pommeau de douche s'échappe des cheveux en plus de l'eau qui semble avoir traînée là aussi longtemps que la bâtisse existe. La matière qui s'extirpe du cercle de métal ressemble à celle que je retire du tuyau quand je débouche mon lavabo. Je reçois directement cette eau poisseuse sur mon corps. Elle est froide et a une texture semblable à du sirop d'érable. Je crie. Horriblement fort. Un cri de détresse tel que je n'en ai jamais entendu de ma vie. Un cri à faire pâlir n'importe quel humain. Un cri à glacer le sang, qui est une bonne comparaison pour expliquer ce qui m'arrive présentement. J'ai l'impression que tous mes muscles se contractent et le choc thermique est si fort que mon rythme cardiaque et respiratoire augmente en flèche. Je commence à paniquer. Mon cerveau se met en marche à une vitesse hallucinante. Des points noirs apparaissent dans mon champ de vision, avant que celui-ci ne devienne complètement noir et que je sombre dans les méandres de mes pensées terrifiantes, ponctuées de cauchemars tous plus horrifiants les uns que les autres.
Je me réveille. Je suis couvert de sueur, mes couvertures ainsi que mes cheveux sont en bataille. Je voudrais crier, mais je n'en ai pas la force. J'ai l'impression d'avoir une tonne de brique sur l'estomac. Je me remémore alors pourquoi je suis dans cet état. Pourquoi d'ailleurs je suis dans mon lit ? Qu'est-ce qui m'arrive ?
Je ne peux pas continuer comme cela. Je dois mettre les choses au clair. Je me lève dans la précipitation que m'oblige à prendre l'adrénaline, j'arrive dans ma salle de bain et je ne vois rien. Tout est bien rangé, en ordre, bien que poussiéreux. Il ne s'est rien passé. Je me sens rassuré. Il n'est rien arrivé, tout cela n'est qu'un mauvais rêve. Je retourne à ma chambre pour m'habiller, avant de commencer à me préparer un bol de céréales, avant de me rendre compte de quelque chose qui me fait instantanément vriller. Tout est vrai. Le cheveu et la tache de peinture grandissante est là. Pas dans la poubelle, non, dans le mur qui est opposé à la table, dans la même position dans laquelle il était il y a 36 heures. Je le regarde. Je suis pétrifié. Il y a encore une partie de mon être qui me crie que ce n'est rien, mais s'en est trop. Je prends la première chose qui me passe sous la main. Une casserole. Je l'empoigne de toutes mes forces, l'élève dans les airs, malgré son poids élevé et je la fracasse sur le mur. Un son horrible me parvient.
Deuxième coup.
Troisième coup. Je sens que mon bras parcourt une plus grande distance. Le mur a disparu, remplacé par un trou béant. Tout est noir, avant qu'une multitudes de chandelles s'allument. Lumière est et je peux apercevoir.
Trois corps. Trois corps qui gisent en boule, au milieu d'une pièce, au milieu des sacs-poubelles et des objets en tout genre. Ma vision se brouille, mais j'ai le temps d'apercevoir certaines choses qui resteront marquées dans ma vie pour le reste de mes jours. Le premier corps est de grande taille, ses cheveux noirs et les courbes d'un visage doux apparaissent dans la pauvre lumière diffusée par la chandelle. Une mère, à côté de laquelle se profilent deux corps plus frêles. Ses deux enfants. S'ils n'étaient pas blessés comme ils le sont, on pourrait penser que c'est simplement une famille qui dort ensemble dans un camping improvisé au sous-sol, mais les corps sont percés au niveau du ventre et lacérés aux bras. L'horreur absolue. Autour d'eux, des tonnes d'objets domestiques. Des jouets pour enfant, des lettres, un sac à dos, des bulletins de notes, un couteau. Un flacon. Les souvenirs affluent. Je m'étais promis de ne jamais m'en rappeler. Une vision.
Je suis chez le docteur. Elle me dit que tout va bien aller, mais je ne la crois pas. Je sais que je vais finir par sombrer, par tomber du côté de mes anciens démons. Le médecin me tend une petite boîte cylindrique remplie de ce qui semble être des pilules. Cette vision se perd dans l'oubli. Je suis de retour à ma réalité.
Je suis seul, devant le fruit de mes crimes. Un oubli. L'oubli d'une action qui aurait pris seulement quelques secondes. Suivi d'un autre, puis d'un autre... Une voix me murmure quelque chose dans mon crâne, puis, le noir m'envahit.

L'heure noire | Without titles Où les histoires vivent. Découvrez maintenant