Without title #44

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Rapport 44-B

Ici seront rapportées les dernières paroles des rescapés de Little Boy.
Classement: Secret Défense.

« Une simple pression. Cela n'a pris qu'une simple pression du bout du doigt sur un minuscule bouton rouge pour que la chaîne de mort s'enclenche. À présent, j'en suis même à me demander comment il a fait pour ne pas mourir sous les regrets à l'heure qu'il est. L'homme qui était dans cet avion. Celui qui a lâché cet engin de mort sur notre paisible ville. J'étais à quelques kilomètres de ce qui n'est maintenant plus qu'un énorme cratère fumant, recrachant ses fumées et ses radiations mortelles comme s'il voulait tous nous attraper. Comme s'il cherchait à abréger nos souffrances. Parce que ce n'est pas ceux qui étaient directement dans la boule de feu qui ont subit la plus grande torture. C'est nous. C'est ceux qui se tenaient à quelques kilomètres. C'est ceux qui pensaient être sains et saufs. C'est nous, qui pensions que nous allions nous en tirer avec quelques cicatrices. Mais apparemment, c'était trop demander. Moi, je l'ai vu cet avion. Je l'ai vu arriver. Un énorme engin gris. De la taille approximative d'un avion de chasse qu'on aurait donné à un mécanicien un peu trop motivé. Il était un différent. J'ai eu la futile impression que son fuselage était plus grand au niveau du centre. Je me suis dis que c'était un classique ; les américains qui nous font peur pour montrer leur sainte supériorité, avant que je ne le vois se diriger vers la ville. Je me suis alors dis que c'était bien étrange, mais que c'était peut-être juste de la dissuasion plus intensive, jusqu'à ce je vois le centre de l'avion s'ouvrir afin de laisser passer un engin de près de deux mètres de long ayant la forme d'une bombe. C'était du jamais vu. Ce qui semblait être un « simple bombardement » s'est avéré être une boucherie. Elle a mis longtemps à tomber. Je la voyais... Excusez-moi, je la fixais et je la voyais descendre lentement. J'avais presque un soulagement malsain en sachant que la mort n'allait pas s'abattre sur moi aujourd'hui. En sachant le futur, j'aurais tué pour être en train de faire mes emplettes en ville, mais le destin étant ce qu'il est, j'ai eu l'horreur de rester en vie. L'horreur de voir. L'horreur de me tenir face à la mort. L'engin a continué sa descente presque sans sons. Ce n'est pas comme dans les dessins animés où il y a un sifflement montant dans les aiguës tout au long de la descente. Non. Ce n'est que silence. Comme le calme avant la tempête. Finalement, l'immense pièce de métal est arrivée sur le sol et il serait presque difficile pour moi de vous décrire la suite tellement tout s'est produit rapidement. C'était irréel. Une seconde, j'entendais des cris de détresse par milliers, l'autre, plus rien. Quand je dis plus rien, c'est au sens littéral. Je n'entendais plus rien. Pendant une fraction de seconde, j'ai entendu le son le plus fort et irréel de toute ma vie. C'était indescriptible. Pour que vous puissiez vous rendre compte de son horreur, il faudrait que je vous brise les tympans. Ensuite, j'étais plongé dans une sorte de nuage auditif. J'avais l'impression que tout était loin. Très loin. Vraiment loin. J'entendais tout en flou. Par contre, à mon plus grand damn, ma vision était toujours en état de fonction. Quand la bombe s'est suffisamment rapprochée du sol, une boule de feu s'est formée et a grandie en emportant tout avec elle. Absolument tout. C'est comme si la ville dans son entièreté s'était effacée après elle. Tout s'est vaporisé. Quand j'ai marché dans le cratère, tous les bâtiments qui avaient été construits des mains de nos ancêtres avaient disparu. Plus rien. La suite, je pense que vous l'avez vue. Vous avez regardé les images ? C'est bien ce que je pensais. Le champignon est monté jusque dans l'espace à ce qu'on dit. Si l'avion était resté là, il se serait tout pris.  Ensuite, je suis allé marcher sur le lieu. Je dois dire que mon insatiable curiosité m'a poussé à commettre une grande erreur, mais je dois dire que je ne regrette rien. De toute façon, je mourrais dans quelques jours. Alors autant que tout se finisse en sachant que j'ai fais quelque chose d'unique... Ce sera bien la seule réalisation de ce type dans ma vie. Quand j'ai marché sur les aborts du cratère, c'était l'horreur absolue, mais pas totalement celle que vous croyez. Dans les films, on montre souvent des tonnes de débris, et ils sont là, mais on ne montre pas si souvent ce qu'il y a en-dessous. Parce que les gens seraient simplement dégoûtés. Parce qu'ils n'ont pas habités avec les gens dont ils voient maintenant le corps éparpillé un peu partout sur le bitume encore fumant. Si les ricains se pointaient ici, ils ne verraient qu'une pile de corps, mais les gens que je voyais, je travaillais avec eux. Je les connaissais tous. Tous ceux qui étaient dans les ruines du bar, je les voyaient presque à tous les jours. De les regarder, comme ça, si injustement tués... De toute façon, vous ne comprendriez pas. Parce que finalement, on en a rien à foutre ! Les pays d'Europe, ils se disent quoi ? De toute façon, c'est à l'autre bout du monde, ça ne pourrait jamais nous arriver ! Et les américains dans tout ça ? Ils font la fête. Tu ne me crois pas ? Allume la télé. Allume la télé que je te te dis ! Tu vois ? Tous dans les rues en trains de fêter, de lancer leur chapeaux, de balancer des confettis, de faire la fête, de sortir leurs belles voitures et leur femme pour une promenade dans un monde enfin en paix ! Mais à quel prix... Tu verrais... On tuerais n'importe quel d'entre eux, maintenant, dans la foule, il tomberait, s'étoufferait dans son sang, rendrait son dernier souffle, son cœur s'arrêterait, comme si il s'était endormi, son corps encore presque parfaitement en état et ça ferait la une des journaux. On parlerait de lui, John Mickelson, ce père de famille si aimant pour ses trois enfants et sa femme... Ce militant impliqué pour l'avenir du monde en paix, pour qu'enfin sa progéniture puisse vivre sans crainte... Un homme toujours souriant, prêt à donner de sa personne pour n'importe quelle cause. Une mort, c'est une tragédie, un million de morts, c'est une statistique.
    Je l'ai vue. Cho. Grande dame, cheveux noirs de jais qui lui tombaient en cascade le long du corps, le regard toujours brillant de malice. Toujours souriante celle-là. Je lui ai toujours fait confiance et elle aussi. On s'entraînait souvent quand on était jeunes. On se retrouvait dans le jardin de ses parents et on s'assoyait sous le cerisier. Je me rappelle, quand les feuilles tombaient, nous faisions nos devoirs presque en pataugeant dans les fleurs roses. Elle était si belle. Je me rappelle de tout. Sa petite fossette quand elle souriait, de ses yeux bridés pétillants à chaque fois qu'elle rigolait à l'une de mes blagues et son odeur... enivrante. Parfois, je n'arrivait même pas à me concentrer et je me souviens, une fois, elle m'avait lancé un gros paquet de feuilles et de pétales au visage tellement j'étais dans la lune. Nous avons transformé cela en une réelle bataille de feuilles. À la fin, nous en avions partout dans les cheveux et coincés sur nos vêtements. Nous nous sommes couchés par terre, tête contre le tronc de l'arbre puis, nous nous sommes retournés, face à face. L'ambiance était paradisiaque. La petite clôture mignonne peinturlurée de blanc qui entourait le jardin, le coucher de soleil qui donnait un aspect rose-orangé au ciel et son odeur qui me montait tranquillement aux narines. Nous nous sommes fixés, les yeux perdus dans le regard de l'autre, puis, nous nous sommes très lentement approchés, avant de s'échanger un doux baiser. Je me rappelle de la sensation, les papillons dans mon ventre... Enfin, j'imagine que mes expressions ne collent plus du tout à celles des jeunes d'aujourd'hui, mais je peux te dire que je filais l'amour fou ! Et bien tu sais quoi ? Cette même femme, que j'ai aidé et aimé toute ma vie, de ses devoir à son petit restaurant de nouilles dans le vieux village, je l'ai retrouvée crevée sur l'asphalte. Son corps était encore fumant. je me suis approché, pour le toucher, sentir une dernière fois sa peau sur la mienne, et je ne sentis que chair calcinée. Sa peau était noire et partait en poussière quand je la touchait. Même son corps était en deux parties, sa tête arrachée qui est partie avec un morceau de sa colonne vertébrale. Elle gisait dans une marre de sang séché, je suis arrivé juste à temps pour moi une dernière fois son cœur pulser, expulsant un jet de sang hors du trou béant laissé par sa tête maintenant empalée sur un bout de bois, le crâne fracassé sur une roche. Les corbeaux commençaient à tourner autour de sa dépouille et je sais qu'à l'heure qu'il est, il n'en reste plus rien. Je me demande si elle aurait été contente de savoir qu'elle a au moins pu nourrir une dernière fois son chien et les oiseaux qu'elle chérissais dans le parc aux cerisiers. Vous vous rendez compte ? Des histoires comme ça, maintenant, la ville en est bourrée. Ce qui était avant un lieu débordant de vie, d'amour, de tristesse et d'émotions en tout genre n'a maintenant d'habitants que des cadavres et la mort qui vient s'occuper des gens comme moi qui ont réussit à échapper à son piège. Il n'y a pas de questions à se poser. Est-ce que je suis triste ? Non. Parce que je vais mourir. Je vais m'en aller en paix. Je vais trimballer mes souvenir. Je vais emporter avec moi les photos de mes deux adorables filles. Je vais me rappeler durant mon voyage de leurs longs cheveux noirs, de leur sourire radieux et de leurs sauts extatiques à chacune de mes annonces d'une visite au parc. Je vais me souvenir de mon chien, qui m'a accompagné depuis mes 7 ans, qui m'a protégé, qui est allé cherché les balles que je lui lançait, qui m'a réveillé chaque matin, qui est maintenant dans un autre monde, partis chercher sa mère et ses petits frères qui étaient répartis dans les autres familles de la ville. Je vais me rappeler de la joie rayonnante de ma vieille mère qui a appris quelques minutes avant sa mort que j'avais enfin réussit à amasser l'argent pour ouvrir le restaurant que mon père a toujours voulu ouvrir sans avoir les moyens et surtout, je vais me rappeler de chaque moment que j'ai vécu avec ma femme. De toutes les fois où je lui ai raconté une blague. De toutes les fois où nous avons mangé ensemble, de toutes les fois où je l'ai embrassée, de toutes les fois où je lui ai tenu la main... Maintenant, laissez-moi seul. Je veux mourir en me rappelant de chaque bon moment que j'ai passée ans ma courte vie avant d'aller en discuter avec les gens que j'aime, dans ma nouvelle maison, là-haut.

Transcription du Dr. Liang, février 1946.

    L'homme laissa ses trois hôtes sortir, s'allongea sur le dos, posa ses mains sur son ventre, ferma les yeux et se rappela avant que la grande silhouette noire n'apparaisse dans la pièce. Elle le prit par la main, et l'homme se laissa guider dans le grand nuage de lumière.

L'heure noire | Without titles Où les histoires vivent. Découvrez maintenant