Je suis enfin à l'extérieur. Je sens le vent froid de l'hiver du nord canadien me frapper de plein fouet malgré les bâtiments de plusieurs étages qui servent d'habitations pour les plus pauvres à côté de l'usine. Je ne sens presque pas l'odeur des déchets mêlée à celle de l'essence qui règne en permanence me monter aux narines, choses que les externes remarquent en premier quand ils arrivent pour vivre ici ou rendre visite à un proche qui ne sera sûrement pas en mesure de les écouter, signe que je suis originaire de cette ville. Autour de moi, que du béton, les restes de ce qui était des pelouses luxuriantes sont maintenant un assemblage de mottes de terres surmontées par quelques touffes de gazon jaunies et flétries et les quelques arbres qui ont réussi à ne pas s'étouffer dans les fumées toxiques relâchées par ce qu'on disait être la plus grande révolution de la ville sont maintenants petits, ratatinés, noueux et leur écorce ne ressemble plus vraiment à ce qu'on s'attend, s'étant transformé avec le fil des années et du passage des jeunes qui ne le sont plus vraiment et des jeunes qui le sont encore, du moins dans leur tête, en une pierre à graver et une poubelle vivante essayant de survivre aux générations de caïds qui font maintenant la loi dans le petit village qui, disait-on allait se transformer en métropole immense et prospère. Les bâtiments, qui semblent vouloir s'écraser, épuisés de soutenir le poids des années, sont craquelés et couverts de graffitis, les jeunes voulant laisser leur marque pour essayer de se faire accepter ici, dans la rue. Les avenues elles, avant propre, leur goudron noir et soigné sont maintenants bosselées, boursouflées, une horreur à voir pour les voitures toujours vieillissantes des citoyens qui, de toute manière ne s'en servent pas, perdus dans leur tête, souvent aidés par des substances en théories interdites, mais comme la police est aussi réactive que les citoyens et les fédéraux à ce sujet, tout le monde continue à les consommer, peu importe les risques, mais surtout les sautes d'humeur qui laissent les enfants et les rares touristes dépités quand vient le moment de parler avec les citoyens.
Et moi, je suis là, mes pieds enveloppés dans des souliers épuisés, ouverts sur le devant, attachés du mieux que je peux pour essayer de garder un semblant de chaleur dans mes chaussettes qui sont trempées à cause de la neige qui fond au contact de mon corps encore chaud grâce au poêle à bois de mes parents, ceux que je vois maintenant comme étant mes tueurs, des gens dans âme et sans tête, essayant toujours de me faire souffrir un peu plus, de transformer ma vie en calvaire toujours grandissant. Je suis aussi vêtu de mes pantalons et de ma veste, une de mon père quand il l'était encore, avant qu'il ne devienne un monstre sans âme, avant qu'il ne meure. J'ai froid, mais je ne peux rien faire, si je retourne dans ma maison, je meurs, sous mes coups de mon père ou de ma mère qui ne savent pas ce qu'ils font, leur cops étant dissocié de leur âme maintenant ailleurs. Je commence à courir, courir le plus rapidement possible, essayant de faire oublier à mon cerveau ce qu'il a vu, ce qu'il a entendu en espérant peut-être qu'il soit enfin capable de savoir ce qui est vrai ou ce qui est faux, ce qui est lui ou ce qui ne l'est pas. Je cours jusqu'à ce que mon cœur me l'en empêche, me rappelant que je n'ai rien à manger et que je suis dans une ville où les toxicomanes côtoient les criminels de grande envergure. Je m'arrête, je respire et regarde en l'air. Sauf qu'au lieu du ciel bleu qui serait supposé cacher le firmament, une couche de smog, cette sorte de gaz grisâtre sentant tout ce qu'il y a de moins naturel. Elle est là depuis longtemps, mais pas aussi longtemps que je m'en rappelle. Je me souviens de quelques moments, je suis avec ma mère ou mes amis et je regarde vers le ciel encore bleu, ne m'en souciant pas, mon jeune cerveau prenant cela comme quelque chose d'acquis, qui restera là pour toujours avant de retourner sur le terrain ou dans les bras de celle qui m'a mis au monde. Je respire un grand bol d'air vicié et je commence à marcher dans les rues et les ruelles à la recherche d'une enseigne dont les néons sont encore en assez bon état pour produire de la lumière et m'éclairer pendant que je vais manger le contenu de l'assiette dont la peinture est, comme les autres, radioactive. Mes jambes me font déjà mal et le bout de mes doigts commence à prendre une teinte bleutée qui ne peut signifier que quelque chose de mal, le froid commence à me gagner. Peu à peu, il va s'infiltrer en moi et si je ne trouve pas un endroit où me réchauffer, il va arrêter mon cœur, faire s'enfuir le peu d'air qui réside encore dans mes poumons, me faire tout oublier, ce qu'il serait extrêmement facile en y pensant bien. Mais je ne peux pas me permettre de penser alors je sors de ma torpeur et je vois enfin ma destination. Pour quelques dollars, j'achète un peu de nourriture que je consomme seul, sous le regard du caissier qui lui, a probablement un endroit où dormir ce soir, peut-être même dans les bras de sa bien-aimée qui va lui répéter maintes et maintes fois d'oublier ce qui s'est passé, de cacher dans le fond de sa tête le fait qu'en ne parlant pas à 8 heures, il a peut-être tué un gamin. La nourriture est fade et semble plutôt être du pétrole avec un arrière-gout de quelque chose de comestible, mais je ne peux pas dire que je n'y suis pas habitué, ma mère ayant arrêté de cuisiner depuis bien longtemps, se suffisant de l'excessif qu'elle consomme en plus grande quantité chaque jour. Quand j'ai nettoyé l'assiette à un point tel que si je continue à y frotter ma langue, je risque d'y les particules de plastique qui la compose, je la dépose sur le comptoir, par des mains de quelqu'un qui ne se serait pas gêné pour jeter à la poubelle prenant bien soin de l'asperger d'eau de Javel les résidus de nourriture restant. Je sors du magasin. Je me sens seul. Une phrase si simple qui pourtant fait partie des choses les plus dures à endurer. Une sensation de vide dans le cœur, une sensation qui se met à ronger la peau qui l'entoure, avant de gagner de plus en plus d'espace, avant de se rendre dans la tête et de transformer son hôte en vulgaire pantin à la merci du manque d'une drogue qu'il ne peut plus se procurer. Je me sens vide, comme si peu à peu on aspirait mon humanité, pour me transformer peu à peu en monstre, en mes parents, mais je sais que ça n'arrivera pas, je suis prêt à mourir pour conserver mon humanité. Je trouve enfin une ruelle adaptée. Noire, jonchée de déchets, mais comportant un arbre et quelques touffes de gazon épuisées de respirer l'air vicié qui règne dans l'endroit. Je suis vidé, par mes parents, mais aussi par tout ce qui m'entoure. Durant ma marche, je n'étais pas réellement seul, quelques personnes marchaient, parfois dans la même direction que moi, mais m'ignoraient. C'est sûr que beaucoup d'entre eux n'avaient rien à me donner, mais je n'ai pas reçu un seul sourire. Rien pour me signifier que je suis un humain, que je mérite de vivre, que je mérite de l'amour. Dans toutes les histoires que je lisais il y a quelques années, le personnage rencontrait toujours quelqu'un, souvent une fille, qui allait le sauver, le ramener dans la société et parfois même, lui donner de l'amour, mais je sais que ce n'est pas mon cas. Je m'arrête. Je respire un vol d'air avant de fléchir mes genoux, mes muscles se contractant pour amortir ma chute vers le gazon qui se termine par un souffle désespéré. Je suis fatigué, désespéré, exténué, physiquement, mais aussi mentalement. Tout se bouscule dans ma tête, les questions comme ma frustration par rapport à leur absence de réponse, avant que je m'en pose une dernière : Pourquoi ils ne m'aimaient pas ? Avant que je sombre dans le sommeil. De plus en plus de neige tombe sur mon corps, s'accumule, crée une carapace qui me protège des changements thermiques, mais mon corps est déjà gelé et le froid arrive à mon cœur, avant de l'empêcher complètement de faire son travail. Je respire une dernière copies l'air vicié de l'endroit, avant de m'enfouir dans un coma profond, avant que la grande belle vienne me chercher dans sa robe noire, me prenne par la main et me tire de ce monde où je n'aurai jamais pu être compris. Je pense une dernière fois à la fille que j'aime et je pars.
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L'heure noire | Without titles
Historia CortaCe que vous vous apprêtez à lire ne vous emmènera pas loin, ne vous fera pas rêver, ne vous donnera pas envie de vivre dans une histoire. Ce que vous vous apprêtez à lire n'est pas fruit de l'imagination d'un auteur inventif, ce n'est que réalité...