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À une seule enjambée du vide, droit et contrit par un froid de novembre, se tenait un homme. Une statue grise, noire, droite... Fusse-t-il couvert d'un drap qu'on aurait crû apercevoir un fantôme. Hors il n'en était pas un, mais un jeune homme habillé dans un uniforme gris aux bandes noires. Une sorte de chaperon sans capuche couvrait son cou par un long, ses épaules, son torse et son ventre, confortable de par le revers molletonné blanc du revers du tissu. Le garçon avait néanmoins une certaine froideur. Sa mine était pâle, ses yeux concentrés. Il regardait vers le précipice, haut au bord d'une petite montagne rocailleuse où quelques brins d'herbes poussaient timidement, rêches et secs, couverts d'une fine pellicule de glace matinale. Quelques esprits semblaient le tarauder. Il tendit le bras et un oiseau blanc se posa sur son avant bras. Des serres de la même couleur crémeuse que ses plumes immaculées. Ses yeux semblaient être deux gemmes aux étincelles sanglantes. Le volatile émit un son gras et grave, fort. Un croassement qui attira l'attention de son maître.

<< Te voilà Blanbec, je me demandais où tu étais ! As-tu remis la lettre ? >>

L'animal croassa à nouveau, penchant sa tête pour la relever aussitôt. Il hochait de la tête. Jason vint, de son doigt recouvert d'un gant, caresser son cou. Les plumes rêches pouvaient être senties même à travers le tissu. Le corbeau ferma les yeux en se frottant davantage sur le doigt de son propriétaire qui arborait un sourire sans saveur. Quelque chose le taraudait à nouveau. Une enquête, une affaire... Il était courant de ressentir quelques émotions même après qu'une mission aie été achevée. Mais cela faisait quelques jours que la mélancolie baignait ses pensées dans une onde mentale lisse, tel une accalmie. Un voile finement œuvré, tel un linceul, avait embrumé ses émotions.

Il continua d'observer son familier d'un œil vide. Son croassement le délogea de ses torpeurs et il empoigna sa valise en cuir aux broderies de symboles sacrés pour ensuite prendre place dans son automobile de la franchise Mercedes. C'était un véhicule que l'on pouvait considérer comme brut, d'une couleur noire aux lignes argentées. La forme globale de la carrosserie était classique pour les années quatre-vingt : carrée et longue, au devant presque plat. Le cercle à l'étoile à trois branches témoignait de sa marque. L'automobile était encore neuve, si bien qu'elle brillait et reflétait le ciel, les nuages et les quelques rochers crémeux qui l'entouraient.

Elle était un petit plaisir de Jason, achetée après quelques mois d'économie. Il en était si fier ! Chaque fois qu'il prenait place dans l'habitacle, il prenait une grande inspiration pour humer les fragrances de matière non usée : ce doux parfum de propreté cher à une acquisition tout juste faite. Certains aimaient les livres aux pages encore vierges de lecture, avec une odeur d'encre et de papier très forte. Le parfum de la nouveauté est grandement apprécié !

S'être arrêté ici n'était pas pour une simple envie bucolique mais pour une séance de repérage : il regardait le village qui était mentionné dans sa lettre. Vraiment minuscule vu de haut, la forêt dominait les bâtisses resserrées comme de jeunes écureuils à la recherche de chaleur, blotties entre elles, créant par la même occasion d'étroite rues où deux personnes pouvaient difficilement marcher. Un cadre particulièrement en proie aux superstitions, ce que Jason savait pertinemment.

Il fit tourner la clé de sa voiture, provoquant un ronronnement grave et continu. L'enquêteur reprit la route avec précaution en direction de Florac.

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Lorsque le maire l'accueillit, ce fut dans la mairie du village : Un bâtiment en rectangle long, face à une petite place entourée de bars ou de restaurants dont le nombre de table restait restreint. Le bas de la mairie faisait contraste avec le haut, composé de vieux blocs disposés en cinq arches pour le devant et deux pour le côté droit. Le haut était couvert d'un enduit de façade vieux et tombant par endroit, laissant voir la carcasse solide qui se trouvait en dessous de cet épiderme fragile comme des plaies béantes que le temps faisait se nécroser et tomber. Néanmoins, trois drapeaux neufs, un de l'Union Européenne, un du Tricolore et un dernier de Florac, resplendissaient tels des insignes royaux, fiers et penchés sur les pavés qui se trouvaient devant la maire, nettoyés méticuleusement par on-ne-sait-qui mais quelqu'un de soigneux. Jason avança vers l'entrée en lançant quelques brefs coups d'œils en direction de l'Église de Saint-Martin qui sonnait les deux heures de l'après midi. Même si l'on était en Occitanie, l'hiver approchant ne pardonnait pas, ravageur entre les petites ruelles de pierres où des rigoles dégringolaient passivement tels des serpents d'un ancien temps, vestiges de l'Histoire du lieu.

Jason Corbert / Chasseur d'EntitésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant