1. Le début des ennuis

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Le jour où le vent a disparu, personne ne s'en est rendu compte..

Les hommes continuaient d'aller au travail dans leur belles voitures, et les femmes faisaient leurs achats tout en s'échangeant les derniers potins. Ça c'était pour ceux et celles qui collent aux stéréotypes. Aah les stéréotypes, c'est derniers temps ils se font sacrément malmenés entre les femmes désireuses de devenir macho et les hommes doués d'une sensibilité jusqu'ici soigneusement dissimulée.

Moi je ne correspond à aucun de ces modèles types de la société. Je suis certes un jeune homme de la vingtaine d'années mais je pleure devant des feuilletons à l'eau de rose et j'avale de nombreuses cuillères de chocolat en pot. J'assume prendre soin de moi par des produits cosmétiques et je sais autant apprécier un match de foot qu'une pièce d'opéra. Je détonne dans mon look : un jour goth, un jour funky et me voilà hippie le jour d'après. Je m'habille selon mes goûts et non pour le jugement des autres. Je passe tantôt d'une blague salace à un compliment de gentleman. Souvent dans la même conversation avec la même personne, mec ou nana. J'ai pas de préférence sexuelle je prends mon pieds avec qui le veut, sans prise de tête sur la construction de relations amoureuses. Ce n'est pas pour moi, je suis libre. Libre de tout.

Je suis étudiant en psychologie, à l'université. Ce qui m'offre une légèreté d'emploi du temps confortable. Mes passions gravitent autour de l'astronomie, l'astrologie et la musique. Lorsque je n'etudie pas je passe mon temps la tête dans des ouvrages spécialisés selon mes hobbies. Écouteurs aux oreilles je peux rester des heures avec le rythme d'un tas de chansons qui me remplissent la tête de notes entraînantes.

Le jour où le vent a disparu je ne l'ai pas non plus remarqué. J'ai eu une journée de cours plutôt banale. C'est trois jours plus tard que je l'ai constaté. Sept heures mon téléphone sonne. J'emerge difficilement et tends un bras fatigué vers la table de chevet. Mauvaise coordination et j'entends un bruit sourd. " Merde fais chier "

J'arrive à décoller mes yeux et observe l'étendue des dégâts. Une belle fissure traverse l'écran de mon téléphone de bas en haut selon une courbe inquiétante. " Putain il était neuf ! "

J'adore pester contre tout et n'importe quoi. Mais là ça m'énerve pour de bon. C'est donc de mauvais poil que je me sors enfin de la chambre et allume la télévision de ma pièce principale. Le ronron de l'émission journalistique me fait pousser un soupir. Les infos ça n'aident jamais à remonter le moral. Pendant quinze minutes je regarde des témoins d'un terrible incident se plaindre de ce mauvais sort qui leur ait tombé dessus, mâchant des céréales sucrés aux fruits rouge imbibés de lait frais. Pour moi tout est question de karma. Si on fait une bonne action alors on évite les emmerdes. Si on fait une mauvaise action alors le destin saura nous punir justement. Parfois on amène des innocents dans ces punitions malchanceuses, ce sont les dommages collatéraux.

C'est pensif sur l'état de mon propre karma que je quitte le salon pour me faufiler jusque la salle de bain. Courte toilette plus tard et je suis fin prêt, sept heures quarante cinq. Même pas en retard. Je porte un jean slim noir, une chemise rouge et des converses jaune pétant. Pour une fois mes cheveux sont bien coiffés, ce n'est pas souvent que je parviens à les maîtriser. Mon sac en bandoulière, j'éteins la télévision et quitte mon appartement. Lorsque je ferme la porte j'entends la voisine geindre de tout ses poumons. Les premières fois je suis allé la voir, persuadé qu'elle se faisait battre. J'ai eu le droit à des explications bafouillées et incompréhensibles, avant de comprendre qu'elle ne se faisait pas taper dessus mais plutôt monter dessus. Par son mari et une tripotée d'amants. En mettant mes écouteurs j'acheve cette supplice auditoire pour passer à un registre plus classique, du Mozart tellement plus agréable.

Je dévale les trois étages agilement puis pousse la porte menant directement sur la rue. Heureusement que je suis mince car le bois a gonflé et n'offre qu'un fin espace pour sortir. Sans trop de mal je suis dehors. Nous sommes en juin, proche de juillet et donc de l'été. La température avoisine les vingt degrés et le soleil joue avec quelques nuages blanc immobiles. Un temps bien opposé à mon humeur massacrante.

" Saluuuut affreux Jo ! "

Je me retourne à cette interpellation et pointe un doigt menaçant.

" Tu es vilaine petite peste tu vas le regretter ! Ton karma est...

- Mauvais oh ça oui un vrai suppôt de Satan que je suis ! "

La jeune femme rit aux éclats avant de me faire une bise digne de ce nom. Pauline Grâce est de ma taille, avec un corps au dessus des normes de beauté en vogue. Une vraie boule d'énergie à la chevelure blonde et aux yeux pétillants. On s'est rencontrés au lycée et depuis on s'est constamment suivis. Un peu comme une soeur que je n'avais pas avant elle.

" Alors motivé ?

- Il faut ! "

C'est côte à côte que l'on prends la direction de la faculté des sciences. Un trajet découpé par vingt minutes de bus puis nous y voilà. Grand bâtiment de pierres sales, vieux mais solide. Cet immeuble a vue des générations d'étudiants remplis d'espoir de réussite depuis son premier jour.

La matinée se déroule normalement. Rien d'extravagant à noter. Le midi je partage un repas avec Pauline, et comme d'habitude elle me débrief sur ses derniers déboires amoureux. Treize heures elle court vers une option que je ne suis pas pendant que je me dirige en direction d'un coin de verdure de la fac. Derrière des portes métalliques il y a un carré d'herbe et d'arbres. Parfait. La plupart des élèves sèchent et préfèrent rester chez eux en cette période. Donc par chance je suis seul, et en paix.

J'ouvre un livre sur l'étude de la lune lorsque j'ai l'impression d'avoir oublié quelque chose d'important. Ne parvenant pas à obscurcir ce voile présent dans mon esprit je laisse tomber et me concentre sur mon livre. Un de mes favoris en plus. Au bout d'une demi heure le constat se pose : impossible d'écarter cette sensation dérangeante. Et soudain je comprends.

Il n'y a pas de vent. Pas une brise, pas un souffle d'air. Absolument rien. C'est presque oppressant comme ressenti. Ordinairement je suis toujours gêné par même un simple murmure car les pages de mon livre tressaillent sous mes doigts. Je fixe attentivement le papier aussi fin que du papier à cigarette. Aucune onde extérieur ne trouble cette surface impeccablement lisse. Je trouve ce phénomène vraiment étrange, voire inhabituel... Quelque chose cloche, voilà ce que ma petite voix me chuchote.

Il n'y a plus de vent et ça n'est pas normal.

Le jour où le vent a disparuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant