Moi

92 9 27
                                    

Le rythme battait à son plein à l'intérieur de la bâtisse. C'était une grande villa aux formes arrondies, le genre de bâtiment appartenant à des riches propriétaires qui ne savaient quoi faire de leur argent. Plusieurs personnes parlaient dehors, riant sous un ciel déjà étoilé, un verre dans la main. A l'intérieur, Alice perçut des éclats de lumière, la musique résonner jusque dans les tréfonds du jardin. Elle inspira lentement. C'était la première fois qu'elle se trouvait devant une maison déjà enivrée par la fête. La première fois qu'elle allait goûter à ce sentiment d'enivrement, de folie démesurée et de vide immense qui caractérisait les fêtes de ce genre. Un sourire se plaqua sur son visage repeint. Il était tant qu'Alice Laena montre son côté sombre au monde entier.

Déjà, à son passage, plusieurs personnes la dévisagèrent, non comme un être répugnant ou trop ennuyant, mais comme une jeune femme désirée qui faisait impression. Tous avaient l'air d'avoir dix-sept ans ou plus, mais par expérience, elle savait que le maquillage et la tenue pouvait vieillir considérablement. Elle en était la preuve même.

Lorsqu'elle entra, les flash de lumière l'aveuglèrent un instant, et la fumée flotta autour d'elle comme si elle cherchait à l'étouffer. Plus elle avançait dans la maison, et plus il y avait de corps, de groupes de filles, de garçons, tous mêlés, tous rigolant, tous souriant. L'ambiance était étouffante mais agréable, une odeur d'alcool et de tabac emplissait l'espace entier. Ses tympans s'inondèrent de boum boum rythmés, et ses yeux se noyèrent dans les changements brusques de lumière. Alice n'arrivait pas à croire que c'était vraiment elle qui se trouvait là. Tout ça... Tout ça avait l'air d'appartenir à un autre monde, une autre dimension bien plus sombre de la réalité. Tout ça reflétait l'âme sombre de l'être humain, ses désirs inassouvis, ce besoin d'oublier le monde de merde dans lequel ils vivaient. Et quelques part, Alice s'y retrouvait.

-Salut toi.

Elle sursauta et fit volte face, pour se retrouver devant Jessica. Celle-ci était habillée d'une robe courte et moulante qui menaçait de se relever si elle se baissait trop bas. Son regard se fit admiratif lorsqu'elle l'inspecta, et elle lui adressa un petit sourire.

-Je n'étais pas sûre que tu viendrais.

-Bien sûr que j'allais venir, grimaça-t-elle.

Elle rit et l'attrapa par la main. Par réflexe, Alice voulut la retirer mais s'en abstint. Tout avait l'air si près, si charnel que deux mains ensemble n'étaient rien dans cet ensemble de corps entremêlé. Il fallait juste s'y habituer... Jessica la mena dans un détour pour arriver vers un groupe de lycéens qu'elle reconnut immédiatement comme faisant partit des amis de Sasha. Ils étaient tous assis sur des canapés en cuir, des cigarettes ou des bouteilles à la main. Les filles n'étaient que deux, dont une assise sur les genoux d'un garçon aux airs plus âgés que le reste de la clique. À son arrivée, tous reportèrent leur regard sur elle, sans aucune once de moquerie dans leurs yeux. Elle faisait bonne impression. Un point pour elle.

-Je vous présente Alice, présenta Jessica allégrement.

-Ah, c'est la fille qui obsède Sasha ? demanda un des garçons.

Alice papillonna plusieurs fois à l'écoute du verbe « obséder ». Que voulait-il dire par là ?

-Ouais, rigola Jessica. D'ailleurs où est-il ?

-Parti chercher un verre.

Elle hocha la tête et lui fit signe de s'asseoir. Alice s'empressa de s'installer sur le sofa et remercia sa conscience de ne pas avoir opté pour une jupe.

-Tu veux quelque chose ? lui demanda la brune, l'air toujours aussi heureux.

-Vous avez quoi ?

-Vodka, bière, Coca si tu veux...

-Vodka.

Ses yeux se plissèrent d'amusement et elle partit en déhanchant légèrement ses hanches au son de la musique. A l'évidence, ce genre d'endroit lui correspondait plus que le lycée. La dernière fois qu'elle l'avait vue, elle avait l'air de sortir de l'enterrement de son grand-père.

-Je n'aurais jamais parié te voir ici un jour, fit un garçon blond qu'elle reconnut comme étant Tom, un joueur de l'équipe de football de la région.

-Faut croire que les choses changent.

Pour appuyer son argument, elle sortit une cigarette de son sac à main et l'alluma de son briquet, sous les yeux éberlués de tous. Une adrénaline inconnue parcourut les pores de sa peau. Maintenant qu'elle savait qu'elle fumait de la drogue, elle voyait cette fumée d'un œil différent, mais peu importait. L'important, c'était l'image qu'elle rendait en cet-instant même. À côté de Tom, Alexandre, un camarade de classe du primaire sourit et lança :

-T'es plutôt jolie comme fille, quand tu oses te mettre en valeurs.

Elle ne le montra pas, mais sa joie n'avait plus de limite. C'était pire qu'une drogue, pire que l'alcool : l'impression d'être désirée, d'être admirée, ça n'avait pas de prix.

-La ferme Alexandre, rugit une voix derrière son dos.

Alice se retourna brusquement et vit Sasha arriver, deux verres à la main, suivit de Jessica qui s'essuyait son front transpirant avec ses mains. Son visage était inhabituellement crispé, et son geste pour lui tendre sa vodka fut brusque. Il ne fit aucun commentaire sur son aspect, ni ne prit la peine de la regarder. Alice se sentit prête à lui sauter dessus pour l'étrangler.

-Ok, relax, je lui faisais juste un compliment.

-Ouais ben de tes compliments, on va s'en abstenir.

Les deux garçons se dévisagèrent, une tension palpable entre eux. Alice trouva cette scène ridicule. Mais surtout, la question qui trottait dans sa tête, c'était pourquoi Sasha agissait ainsi. Après tout, qu'est-ce que ça lui faisait de la voir comme objet de compliments ? C'était lui qui l'avait entraîné dans cet endroit, lui qui l'avait rendue ainsi, lui qui l'avait incité à faire tout ça, alors pourquoi diable agissait-il comme quelqu'un qui ne voulait que son bien ?

-Sasha... murmura Jessica derrière lui. Arrête.

Ce-dernier se détourna et posa enfin ses yeux sur Alice. La surprise anima ses pupilles, mais aussitôt, un sourire amusé illumina son visage.

-Je pensais que tu m'en voulais.

-Je t'ai dit que te ferais regretter ta connerie. Nuance.

Il secoua la tête, n'osant y croire. Tout en le regardant dans les yeux, elle avala d'un trait la vodka qui afflua immédiatement dans ses veines comme un rythme incessant bombant son cœur. Une chaleur immédiate la fit transpirer mais elle sut que ce ne serait l'affaire que de quelques minutes. Elle avait fini par avoir l'habitude.

Il s'installa à côté d'elle, plus près encore qu'ils n'avaient été le fameux soir. Jessica les observa d'un air rieur et s'assit à l'opposé, les coudes posés sur ses genoux. Une des filles dont l'identité resta inconnue s'agenouilla devant la table basse et y déposa trois petits sachets de poudre blanche, l'air fébrile. Au moment où Alice se rendit compte de la nature du produit, son corps se raidit immédiatement et son cœur remonta dans sa gorge. Dieu du ciel, dans quoi s'était-elle lancée ?

-Qui commence ? demanda la fille, impatiente.

Une petite voix lui hurla « sors d'ici et ne revient jamais ». Une autre lui cria « dans quel bordel t'es-tu fourré » et encore une autre dit « tout ce qu'il te reste à faire, c'est partir » d'une manière évidente. Mais ce fut celle qui lui chuchota « fais-le » qu'elle écouta.

Aussi, d'une voix claire et posée, elle prononça :

-Moi.

Chute libre ✔Où les histoires vivent. Découvrez maintenant