Partie 4 - La naïveté d'une fleur sauvage

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Anne filait à travers la foule, elle allait aussi vite qu'elle le pouvait, tout comme la fois où Rachel Lynde l'avait rabaissé en jugeant son apparence, ou bien comme ce fameux jour où M. Phillips l'avait puni au tableau pour avoir frappé Gilbert Blythe avec son ardoise alors qu'il l'avait appelé « poil de carotte ». Elle se sentait tout aussi humiliée, bien que le contexte était tout à fait différent, et qu'elle n'était plus une enfant à présent. Toutefois, aujourd'hui, elle n'en fût plus sûre, peut-être était-elle restée une enfant ? Quoiqu'il en fût, il s'avérait que courir était un réflexe lorsque ses émotions n'étaient plus gérables.

En courant, tout ce qui l'entourait ne semblait plus exister, elle ne pensait qu'à trouver un refuge. Soudain, elle fit alors tomber son chapeau, qui atterrit sur le gazon, les gens regardaient la jeune fille avec une certaine curiosité, car elle continuait ainsi de cavaler à toute vitesse tout en semant des choses lui appartenant.

Toujours en se précipitant, son esprit se dirigea à nouveau vers le muguet que Gilbert lui avait donné ce matin-là, puis qu'elle avait glissé dans ses cheveux... si naïvement... Alors, la tristesse faisant place à la colère, elle attrapa le brin de muguet qui était glissé entre son ruban bleu et ses cheveux, puis elle le jeta au sol. Au même moment, une larme qui ne demandait qu'à tomber, roula sur sa joue.

À présent, la foule pouvait bien piétiner cette fleur, comme son cœur l'avait été.

Plus loin, derrière la rouquine, on pouvait distinguer Gilbert, qui s'était empressé de la rattraper, il courait maintenant lui aussi entre les visiteurs de la Foire, il pouvait apercevoir cette dernière à une cinquantaine de pas devant lui. Elle paraissait si blessée, il fallait qu'il la rattrape, il ne savait pas vraiment quoi lui dire, mais il trouverait bien une phrase réconfortante quand il se retrouvera en face d'elle.

C'était plus fort que lui, il devait essayer de faire quelque chose, il détestait la voir dévastée. Bien qu'il sache qu'Anne avait souvent des réactions passionnées, il savait que ce gâteau représentait quelque chose d'important pour elle. Elle avait dû y mettre tout son cœur, comme tout ce qu'elle faisait. Il ne supportait pas qu'on la rabaisse, qu'on la juge ou la maltraite. Il se devait de prendre sa défense à chaque fois, et ceci de n'importe quelle façon, n'est-ce pas ce qu'un bon ami ferait ?

Et même ce fameux jour où elle l'avait frappé avec son ardoise... même ce jour-là il l'avait défendu. Il ne pouvait simplement pas accepter que d'autres osent rire d'elle. Elle, qui était comme un papillon rare qu'il fallait préserver.

Il commença à réduire la distance qu'ils les séparaient, mais cette dernière ne s'arrêtait pas. Il l'avait même vu perdre son chapeau, qu'il s'empressa de ramasser aussitôt. Il commença alors à hurler son nom, « Anne ! »

Mais celle-ci ne ralentissait pas, au contraire même, elle ne voulait surtout pas qu'il la voie dans cet état. Alors elle regarda un instant autour d'elle, elle semblait chercher un endroit pour se réfugier à l'abri des regards, et surtout loin des yeux de Gilbert. Elle ne voulait plus attirer l'attention, elle voulait être seule. Elle passa devant le grand  orgue de foire, dont la musique raisonnée si fort. Elle se fit instantanément la réflexion, que si elle avait envie de verser quelques larmes en paix sans qu'on l'entende, il n'y aurait pas de meilleure cachette que dernière cette machine.

Le jeune homme continuait toujours de crier son nom, mais soudain, il la perdit de vue au même moment où l'homme aux échasses passa devant lui, lui barrant ainsi la route pendant quelques secondes mais surtout coupant le contact visuel qu'il avait avec la fille à la chevelure rousse.

Quand l'artiste sur ses échasses était enfin parti, c'était trop tard, il n'y avait plus d'Anne, il avait suffit de quelques secondes pour qu'elle disparaisse. Mais Gilbert n'a pas voulu abandonner, il en faudrait plus que ça pour qu'il baisse les bras. Il continua alors de l'appeler, « Anne ! », mais bien entendu, personne ne répondit.

Effeuiller la MargueriteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant