III - ᴇʟʟᴇ

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— Hé, Shae, la cloche vient de sonner et les cours vont bientôt commencer.

Je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir qui me parle. Il s'agit bien d'Allison. Je pourrais reconnaître sa voix cristalline entre mille, un million même.

D'un geste négligé, je lâche le mégot de cigarette que je tenais et l'observe tomber dans le vide jusqu'à terminer sa chute au sol. Ça a été si rapide, si léger. On aurait dit que c'était une plume à la place du rouleau de tabac. Et pourtant.

Est-ce-que ce serait la même chose pour mon corps si jamais je décidais de me laisser tomber, là, maintenant ?

Je ne peux pas le savoir, malheureusement. J'aimerais tellement, mais je n'en ai pas le courage.

— Tu sais, ajoute la blonde, si tu n'en as pas envie, tu peux t'en aller.

Je ne dis rien, je ne bouge pas non plus. Je me contente juste de la fixer intensément. Elle doit avoir l'habitude, depuis le temps qu'on se connaît. Je n'aime pas parler pour ne rien dire.

M'en aller.

Elle a prononcé ces mots en désignant ma maison. Mais dans un autre contexte, on pourrait les comprendre comme s'en aller. Définitivement. Mourir. Et purée, que c'est tentant.

J'ai envie de m'en aller, Allison, si tu savais.

— OK.

Mon corps se met à bouger tout seul. Je me relève lentement, beaucoup trop lentement. Debout, à à peine quelques centimètres de tomber du bâtiment, j'écarte les bras de façon horizontale et regarde le ciel.

Dans une situation normale, où j'aurais eu tous mes sens, je me serais reculée d'une traite et aurais juré sur tous mes ancêtres de ne plus jamais m'approcher à une telle distance d'un fossé. Malheureusement, dire que c'est le cas, maintenant, serait mentir.

Je ne contrôle aucune partie de mon corps, mon cerveau se permet de diriger mes membres sans mon accord.

Le regard braqué sur la rue en bas du bâtiment, j'entreprends de lever les bras encore plus haut comme le ferait un parachutiste depuis son avion. Je peux entendre Allison jacasser dans mon dos.

— Shae, qu'est-ce que tu fais ? Descends de là !

Au moment même où j'allais lui répondre, me vient l'idée de lui jouer un mauvais tour.

Je frotte bruyamment la semelle de mes bottines contre le ciment de la clôture sur laquelle je suis arrêtée et laisse mon corps se pencher légèrement vers l'avant. Tout porte à croire que je vais tomber.

— Shae !

En un saut vers l'arrière, me revoilà sur terre.

— Détends-toi, Lis, ce n'était qu'une blague.

Le vent se permet de rejeter mes cheveux bruns sur mon visage alors que je dévisage grossièrement mon amie. Je les ramène derrière mon oreille sans pour autant détourner le regard.

Je sais que c'est gore de ma part de faire ça, mais je n'ai pas pu m'en empêcher. La rousse me regarde m'approcher d'elle, le visage raffermit et l'air sérieux : elle est en colère.

J'ai agi de la sorte en sachant très bien quelle serait sa réaction, alors pourquoi ai-je peur des retombées ?

-— Non, mais tu te rends compte de ce que tu as fait, là ? m'adresse t-elle d'une voix accusatrice.

— Ce n'était qu'une blague.

— Une blague qui aurait pu te coûter la vie. Tu n'imagines même pas la peur que j'ai ressentie !

À Fleur De MauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant