Lundi 9

28 3 0
                                    

Cher grave nul,
Les élèves du Lointain-Collège sont arrivés aujourd'hui. D'accord, c'est à quelques kilomètres d'ici, mais quand même...J'en ai vu un spécimen de près aujourd'hui et-hihi- Angéline aussi.
Laisse-moi t'expliquer. Ça c'est passé pendant le cours de français. M. Ernest avait repris son idée idiote de COMPRENDRE LES CULTURES À PARTIR DE LEURS ÉCRITS, et il nous a donné un cours sur les haïku.
Un haïku, c'est un poème japonais traditionnel de trois lignes. La première ligne comprend cinq syllabes, la suivante sept, et la dernière cinq. Ce qui est bon à savoir si jamais tu as envie d'écrire un magnifique poème, mais que tu ne veux pas perdre ton temps à chercher plus de dix-sept syllabes.
Alors, M. Ernest nous en a lu quelques-uns, qui étaient plutôt jolis, j'imagine. La plupart portaient sur les fleurs ou les oiseaux. Et puis, il nous a demandé d'en composer un, mais il nous a donné seulement quelques minutes pour le faire.
J'ai trouvé ça vraiment injuste qu'il nous oblige ensuite à les lire à haute voix, mais c'est ce qu'il a fait.
En tout cas, voici le mien :

" Cinq syllabes ici.
Encore sept autres par là.
Et puis cinq. Content ? "

Quand M. Ernest est fâché, sa tension artérielle monte en flèche et l'énorme veine qu'il a sur le front se met à palpiter. Après quelques pulsations dans ma direction, il a demandé à Angéline de présenter son poème. Malheureusement, le sien ressemblait à ceci :

" Le petit moineau
Fait une chanson plus jolie
Que des plumes en fête. "

Il y a eu quelques applaudissement, évidemment. De toute manière, il y en aurait eu aussi si Angéline avait pété.
Mais avant qu'on ait eu le temps d'ériger une grande statue dorée à la mémoire de l'excellent haïku d'Angéline, une fille assise à l'arrière, que je n'avait pas remarqué en arrivant, a levé la main. C'était une des nouvelles de Deloin. Alors M. Ernest lui a dit :

" oui, Colette ? "

Oui, oui, tu as bien lu, cher nul : COLETTE !
Ça fait très parisien, tu ne trouves pas ? Et puis, c'est vraiment joli. Certainement plus joli qu' Étiennette ou Georgette, en tout cas.
La cerise sur le gâteau, c'est qu'elle est aussi jolie que son nom. Donc, beaucoup plus qu'Angéline ! Et la cerise sur la cerise, c'est qu'elle n'a même pas besoin d'avoir les cheveux blonds pour ça, ce qui est un avantage très injuste, si tu veux mon avis. En fait, Colette a les cheveux noirs. Noirs et brillants et lustrés, comme si on avait croisé un chiot avec une licorne. Et qu'on lui avait teint les cheveux en noirs.
Bon, bon, j'avoue que mon dessin n'a pas tourné aussi bien que prévu. Mais je t'assure :
Colette a de très beaux cheveux, très parisiens. Et voici le haïku qu'elle avait composé :

" Hé, l'oiseau ! Merci
De chanter pour moi, mais pas
De faire des dégâts. "

Elle a obtenu des applaudissements elle aussi, et des rires. Je pense que son poème visait directement Angéline parce que, pendant qu'elle récitait sa dernière ligne, elle m'a regardée droit dans les yeux. Et puis, elle a souri. Mais ce n'était pas un sourire de gentillesse. Plutôt le genre de sourire que ferait une magnifique fée bûcheronne juste avant d'utiliser sa tronçonneuse sur un arbre blond super énervant.
Après ça, c'était comme si le haïku d'Angéline avait été effacé de la surface de la terre, aussi facilement que si on avait effacé les traces de son visage sur un train.
Tout de suite après l'école, on a rattrapé Colette dans le couloir. À cause de sa beauté étourdissante, les garçons tourbillonnaient derrière elle comme de misérables petites feuilles emportées par un ouragan de pure fillesse.
Je lui est dit :
" j'ai beaucoup aimé ton haïku, Colette. J'aurais bien voulu l'écrire moi même. "
Ce à quoi Isabelle n'a pas pu s'empêcher d'ajouter :
" C'est normal, Jasmine, il était bien meilleur que le tien. "
Je ne lui avait pourtant rien demandé...J'ai trouvé une réplique géniale (deux heures plus tard) pour dire ma façon de penser à Isabelle, mais quand je l'ai revue, j'avais déjà oublié ce que c'était.
Oh, tais-toi ! C'était vraiment une réplique géniale !

Mon journal grave nulOù les histoires vivent. Découvrez maintenant