IV ↬ interview

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Nous étions jeudi, un jeudi qui se déroulait comme les autres à une exception près, j'avais tourné à droite au lieu de rentrer chez moi. Suna à mes côtés, nous nous dirigions vers chez lui. Oui, vers chez lui. Il ne m'avait pas invité ni rien de tout ça, la raison était en fait toute autre. 

Le club dont je faisais partie était le journal du lycée, et cette semaine nous devions rédiger un article sur le club de volley de notre lycée. Étant la présumée petite copine d'un des joueurs, j'étais en charge de les interviewer. J'avais donc demandé à Suna quand il était disponible et il m'avait répondu : " Ce soir, t'as qu'à passer à l'appart' ". Alors, après notre journée de cours, le brun et moi nous étions retrouvés à faire tout le trajet ensemble, du lycée jusqu'à chez lui. 

Cinq minutes après avoir tourné, nous arrivâmes devant le sex-shop et mon hôte me fit rentrer dans l'immeuble grisâtre en face de celui-ci. Nous montâmes trois étages avant d'arriver devant une porte aux couleurs ternes, typique d'un immeuble de quartier. Il ouvrit la porte et me fit entrer avant de passer le pas de la porte à son tour et de fermer cette dernière. Alors que j'observais l'entrée qui n'avait rien de particulier, une petite tête brune apparut avant de retourner se cacher. Je regardai Suna d'un air interrogatif.

- Ah, ça c'est ma petite sœur. Elle est un peu timide, pas très extravertie, m'expliqua-t-il. 

Je m'avançai doucement dans le salon, un peu intimidée. Le brun se dirigea vers la cuisine qui était ouverte sur le salon, je l'entendais sortir je-ne-sais-quoi des placards pendant que je laissais mes yeux traîner çà et là. 

- Hum, salut ? Dis-je à l'intention des deux couettes brunes dépassant de derrière le canapé. 

- Bonjour... Me répondit-elle d'une petite voix. 

Je tournai la tête et vis Suna marcher vers moi, un verre de ce qui s'apparentait à de la grenadine dans les mains. Il me le tendit, je l'attrapai et il effleura mes doigts sans me prendre la main pour m'indiquer de le suivre.

- T'occupes pas d'elle, me conseilla-t-il tandis que, toujours cachée, sa sœur lui tirait la langue. Faudrait pas qu'elle accapare toute ton attention, dit-il avec un sourire en coin en attrapant son verre sur la table.

Je le suivis jusqu'à sa chambre tout en continuant d'observer ce qui m'entourait. Ça me faisait plaisir d'être là, chez lui, dans sa chambre. J'avais comme l'impression qu'il m'offrait une partie de lui, son jardin secret. Un jardin, certes très peu rangé, mais un jardin quand même. Je m'avançai doucement dans son espace privé et vint m'asseoir sur son lit avant de sortir une pochette de mon sac dans laquelle se trouvait une feuille bourrée de questions que je trouvais franchement inintéressantes et qui ne me permettraient pas de connaître le brun un peu plus.  Suna s'assit à mes côtés en se laissant presque tomber. Les derniers rayons du soleil passant par la fenêtre juste en face du lit venaient noyer son visage pâle de lumière et danser sur ses paupières fermées. Je me fis la réflexion silencieuse qu'il était vraiment beau, le type de garçon qu'on a envie d'embrasser sans poser de questions. 

- Mes parents sont encore au travail, je leur passerai le bonjour de ta part t'en fait pas, m'informa-t-il. Alors, tu me les poses ces questions ?

- Ouais, il y en a une vingtaine ça risque de prendre un peu de temps, expliquai-je en cherchant quelque chose du regard, t'aurais pas une prise ? Demandai-je, le chargeur de mon ordinateur en main. 

Suna pointa du doigt un endroit sous son bureau où je pus effectivement apercevoir une prise. Je me levai et m'avançai jusqu'au bureau avant de me baisser et de brancher le chargeur après avoir bataillé pour le démêler pendant quelques secondes. J'entendis un toussotement gêné et lorsque je me retournai, le brun avait la tête tournée et j'avais l'impression qu'il bataillait avec lui même pour ne pas me regarder, en mordant son pouce rageusement. J'époussetai ma jupe en lui lançant un regard interrogateur avant de me rasseoir. Quand mon compère daigna enfin me regarder, un voile rouge décorait ses joues. Après avoir réfléchis, je compris enfin. Mes mains se posèrent en hâte sur ma bouche et mon visage affichait une expression à la fois choquée et amusée. 

- T'es dégueulasse, putain, ris-je en laissant mon visage devenir aussi rose qu'un couché de soleil. 

- À qui la faute ? Rit-il à son tour en voyant que j'en pouffais moi-même.

Lorsqu'il fut plus détendu, je commençai à lui poser mes questions, et ce pendant bien deux heures puisque nous nous chamaillions plus qu'autre chose. 

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Il était déjà dix-neuf heures et Suna me raccompagnait chez moi après nos heures d'"interview". Il faisait noir dehors, j'avais l'impression que la vie avait déserté, que nous étions les deux seuls survivants d'une sorte de catastrophe naturelle et que les lampadaires à la lumière jaunâtre seuls avaient le privilège d'observer nos corps déambulants dans la rue. Nous étions silencieux, bien trop pour deux adolescents marchants dans la rue en pleine nuit.

Je me demandais à quoi il pensait, à quelque chose de banal ou au contraire de plus profond ? Peut-être qu'il pensait à moi comme je pensais à lui, se demandant ce qui pouvait bien me traverser l'esprit à l'instant. J'aimais bien Suna, vraiment bien. Il y avait quelque chose entre nous, un truc un peu spécial. À moins que ça ne soit, au contraire, un peu banal. Je ne savais pas s'il le ressentait, ce truc. Je crois que si j'avais eu un peu plus de courage j'aurais appelé ça : des sentiments. Qu'importe si lui aussi il avait ces choses qui cognaient au fond de lui, savoir que je partageais la même Lune que lui me suffisait pour oublier le monde. 

- En fait, une histoire d'amour ça finit pas par un mariage, sa voix résonna dans la nuit noire, froide comme un corps inerte. 

- Ah ouais ? 

- Ouais, j'crois que ça finit par des funérailles, je pouvais l'entendre, le point à la fin de sa phrase.

- C'est peut-être parce que le monde n'était pas fait pour eux, alors ils se sont suivis jusqu'à autre part. 

- Qui ça ? Me demanda Suna.

- Je sais pas, ceux dont l'histoire d'amour finit par des funérailles. 

Le silence reprit et continua jusqu'au froissement de nos mains se liants, nous faisant nous échanger notre dernier regard de la soirée sous cette Lune que nous partagions. Parce qu'une fois devant chez moi, je n'avais que son cœur dans la rétine et lui mes fossettes en images sensorielles imprimées sur la pupille. 

𝐆𝐫𝐫𝐫 𝐊𝐫𝐨𝐮𝐧𝐜𝐡 𝐊𝐫𝐨𝐮𝐧𝐜𝐡, 𝗌𝗎𝗇𝖺 𝗋𝗂𝗇𝗍𝖺𝗋𝗈Où les histoires vivent. Découvrez maintenant