S.E.C

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    Assis sur un banc, au fond du club, je regardais d'un œil fatigué les gens danser sur la piste en face de moi, se balançant au rythme des derniers titres du moment. Tout ici était agressif. Du bruit des enceintes jusqu'aux odeurs de sueur et de cigarette, en passant par les haleines alcoolisées de mes amis, qui tentaient maladroitement de me faire sortir de ma morosité à grands coups de tapes dans le dos, et de shots de rhum. Évidemment, je n'étais pas allé en boîte de mon propre gré... J'y avais été contraint, à grands coups de "Allez, tu vas voir, ça va te faire du bien de sortir... Ça va te remonter le moral! Et puis, tu vas pouvoir pécho!" Alors non, je ne voulais pas "pécho". Merci, j'ai déjà donné. Passer une nuit à séduire une fille au hasard, à lui offrir plus de verres que tu n'en bois, dans le seul but de la ramener chez toi, tout ça pour quoi? Du sexe sans lendemain? Ça m'exaspérait rien que d'y penser. Alors je continuais de fixer la foule d'un œil fatigué.

     "T'as du feu?" Sa voix me fit sortir de mes pensées. Devant moi se tenait une jeune femme, aux longs cheveux noirs. Elle me fixais de ses yeux marrons, en amande, ses sourcils fins légèrement froncés, lui donnant un regard étrangement apaisant. Je fouillai dans ma poche et lui tendit mon Zippo. Dans ce genre de cas, normalement, j'avais un Bic bon marché, qui m'évitait de me faire potentiellement voler le briquet d'acier, gravé au nom de mon père, et d'une valeur inestimable. Sentimentalement, du moins. Mais, cette fois, j'avais tendu mon Zippo. Pas par inattention. Elle dégageait une aura de confiance et de sérénité. Elle alluma une cigarette, fourra le briquet dans sa poche avec un sourire, et s'éloigna, tout en tournant la tête, et me lançant un regard appuyé par-dessus son épaule... Ce qui ne manqua pas de déclencher chez mes amis une flambée d'exclamations, de rires, et d'incitations à la rejoindre. Je me levai pour la suivre.

     Elle s'était adossée contre un mur, une bière dans une main, une cigarette dans l'autre. Lorsque j'arrivai à sa hauteur, elle me regarda dans les yeux et se remit à sourire. J'eus l'impression étrange de la connaître depuis toujours.

— Mon briquet? Lui demandai-je d'un air neutre.

— Tu n'as pas une tête de Gérard, me répondit-elle en me toisant.

— C'est mon père... Mon briquet?

Elle me le rendit, tout en me lançant un clin d'œil troublant.

— Sarah. Mon prénom, pas celui de ma mère, continua-t-elle. Et toi?

— Will.

— Hmm... Elle eut l'air troublée. J'ai connu un William. Il... Laisse tomber. C'est du passé.

— Il quoi? demandai-je, étonné de voir son sourire disparaître aussi brutalement.

— Il te ressemble. En quelque sorte.

     Sans que j'aie pu lui répondre, elle s'éloigna. Je lui lançai un "Attends!", avant de tenter de la rattraper. Elle se dirigeait vers la sortie. Je la suivis, récupérai mes affaires à l'entrée, mais, au moment de pousser la lourde porte du club, l'imposant portier m'arrêta en posant une main sur mon torse, me regarda de haut en bas, et finit par poser ses yeux sur moi, ou du moins son unique œil valide, l'autre ayant été remplacé par une prothèse presque parfaitement réaliste, mais immobile. Je soutins son regard avec incompréhension tandis qu'il me bloquait déjà depuis dix bonnes secondes. Il finit par ôter sa main en me lâchant un "Elle n'est pas faite pour toi". Je sortis du club, ignorant ses paroles et son souffle alcoolisé.

     Je finis par retrouver Sarah au coin d'une rue. Elle s'était arrêtée, et s'allumait une cigarette sous un lampadaire. Mon briquet, le légendaire prétexte pour ouvrir une conversation... Peu importe. Je la rejoignis et lui demandai la raison de son empressement. Tout ce que j'obtins, en guise de réponse, fut un "renseigne-toi sur Salem" méprisant. Elle me tendit un morceau de papier usé, sur lequel étaient inscrites les mots "Sarah.E.Cloyce" avant qu'elle ne disparaisse. Littéralement.

Le Second CarnetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant