Le Second Carnet

Encore un.

     Il était encore là, ce matin. C'est inhabituel... D'habitude, il me regarde m'endormir, et disparaît avant mon réveil. Ce matin, il avait décidé de rester, malheureusement. J'allais devoir le supporter toute la journée. Moi qui était déjà épuisé de notre nuit... J'aurais tout donné pour ne pas le voir, alors que j'ouvrais les yeux. Évidemment, lorsque je me levai, sans lui dire un mot, il me suivit. Il me suivait constamment, de toute manière. Toujours dans mon champ de vision, souvent collé à moi, me murmurant constamment à l'oreille. Ses mots... Ses mots m'hypnotisaient, à chaque fois. Ses mots étaient aussi beaux que terrifiants.

     Comme chaque jour, je me préparais, tandis que ses yeux sans vie semblaient me fixer, scrutant mes moindres mouvements. Devant le miroir, je tentais de me trouver belle, mais je ne pouvais qu'écouter ses murmures. Ses murmures incessants... "Regarde-toi... Déchet. Bonne à rien. Pourquoi tu t'obstine, comme ça? Reste, reste avec moi, pour toujours. Reste loin des autres, ils te briseront. Tu n'as pas besoin d'eux, de toute manière. Je suis là." Oui, il était là... Et c'était bien ça, le problème. Je n'arrivais pas à décider si je devais l'aimer ou le détester.

     Même au travail, il m'avait suivi, aujourd'hui. J'avais beau tenter de me concentrer, la sensation de son regard posé sur moi me faisait frissonner, constamment. Et de plus en plus. J'avais essayé de l'affronter, bien sûr. Plusieurs fois, même! Mais je ne pouvais soutenir son regard, et ses yeux d'un blanc laiteux. Et encore moins soutenir ses arguments... Il disait la vérité, après tout. J'étais un déchet, et je ne serais jamais rien d'autre.

     J'avais essayé de chercher du soutien, un jour. On m'avait dit qu'il fallait que je me sorte ces idées irrationnelles de la tête, que je me faisais du mal pour rien, que rien ne changerait si je ne faisais pas d'efforts... Que des gens tenaient à moi... Un ramassis de mensonges, qu'il s'était empressé de démentir. Il était le seul à savoir, à réellement me comprendre. Alors, peu importe à quel point la vérité me blessait, j'acceptais qu'il l'énonce. Je n'avais pas le choix, de toute manière. Mais, aujourd'hui, c'était différent. J'en avais assez de l'écouter.

     Un médecin m'avait prescrit des cachets, supposés calmer mon anxiété, et diminuer mon sentiment d'insécurité. Ça m'avait semblé une bonne idée, au début, et je pensais qu'il m'aurait soutenu... Il m'avait interdit de les prendre. Mais aujourd'hui, j'allais lui tenir tête. J'avalai un comprimé, me tenant droite, devant lui. Sa réaction ne se fit pas attendre.

     "Tu as choisi de me faire taire? Bien... Mais un comprimé ne suffira pas. Encore un." Je l'écoutai sagement, et avalai un deuxième cachet. Il arbora un sourire carnassier au moment où il m'ordonna "Encore un." d'une voix ferme. J'obéis. Mon esprit se détendait, et son teint pâlissait, mais il continua. "Encore un." Je m'exécutai. Il commençait à disparaître. "Encore un." Sa voix se faisait plus lointaine. "Encore un." Je pouvais presque voir à travers lui. "Encore un." Il disparut définitivement, au moment où je m'écroulai au sol. Je m'étais débarrassée de lui, enfin.