Le Second Carnet

Le Rite.

    

     La nuit était enfin tombée sur le village, et le ciel d'été, vidé de ses nuages, laissait apparaître une pleine lune à l'éclat intense, baignant la région de son éclat argenté. Des feux avaient été allumés aux abords de la route menant au cercle de pierres. Les villageois s'y dirigeaient calmement, chacun portant une offrande. Nourriture, fleurs, bijoux... La Nuit des Anciens allait commencer.

     J'avais attendu cette nuit pendant 18 étés, impatiemment, et maintenant que le temps était venu, j'étais incapable de calmer le trac qui m'enserrait la poitrine, et me coupait le souffle. Ce soir, si les Dieux l'accordaient, je deviendrais un guerrier.

     Tandis que les membres du village déposaient leurs offrandes à l'autel des Anciens, en signe de respect à leurs ancêtres au Walhalla, puis prenaient place sur les blocs de granit entourant le cercle de pierres, j'avais été emmené dans une tente, un peu plus loin, par les esclaves du Jarl, qui s'affairaient à laver mon torse, et parfumer mes cheveux d'une eau infusée de sauge. Puis, deux jeunes femmes en toge blanche me revêtirent de mon armure, et me guidèrent jusqu'au cercle de pierres.

     Au milieu du cercle se dressait un autel de granit, sur lequel était posée mon épée. Derrière l'autel se tenait le Chaman, un vieillard presque aveugle, aux traits burinés par le temps. A mon approche, le regard des villageois se tourna vers moi. Le Chaman ôta sa capuche. Au moment où j'avais pénétré le cercle, je m'étais senti baigné d'une douce chaleur, réconfortante. L'angoisse disparaissait peu à peu. Seul restait le poids du regard des villageois, et celui des Dieux.

     Le Chaman trempa son index droit dans un bol rempli de terre ocre, puis traça une ligne sur mon visage, du sommet de mon front à la base de mes sourcils, avant d'entamer une litanie de sa voix grave, bientôt reprise par tous les spectateurs. Je me penchai devant l'autel pour y saisir délicatement mon épée, la main droite serrant fermement la garde, la lame reposant au creux de ma paume gauche. Le chœur cessa. Au signe de tête du Chaman, je resserrai la main gauche sur la lame tranchante, puis tirai fermement la poignée de l'épée, entaillant ma paume. Je fis couler mon sang le long de l'autel, et plantai l'épée dans le sol à mes pieds, tout en m'agenouillant.

     "Que ton offrande de sang te lie aux Dieux, à notre Jarl, et t'apporte protection et courage au long de tes batailles." annonça le chaman. À ces mots, le hululement d'une chouette se fit entendre non loin. "Te voila béni par Freyr.", continua le Chaman

     Depuis ce jour, je suis devenu l'un des meilleurs guerriers du Jarl. Je me suis vu décerner le titre de Skalde. Et chaque année, lors de la Nuit des Anciens, je remercie Freyr de guider mes pas.