Le Marcheur.

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     Cette nouvelle est légèrement différente des autres. Je n'en suis pas l'auteur. Un jour, en forêt, j'ai trouvé une petite boîte en bois, cachée dans une souche d'arbre creuse. A l'intérieur se trouvait un carnet à la couverture en cuir noir, dans lequel était écrite cette histoire, qui m'a fascinée.


     Je sens mon esprit se briser. Je deviens fou, je crois. Enfin. Bientôt, j'espère, je serai libre, je pourrai enfin mourir. Mais, avant de disparaître, j'aimerais laisser une trace. Ainsi, vous qui avez trouvé ce carnet, et qui lisez ces pages, voici mon histoire.

     Les gens m'appellent le Marcheur. J'ai oublié mon véritable nom il y a longtemps. Au même moment où j'ai oublié mon âge. Du moins, j'ai plutôt cessé de compter après le premier millénaire. Cependant, une chose que je n'ai pas oublié, c'est la raison pour laquelle je suis devenu le Marcheur. Avant, j'étais mortel. J'étais un chasseur de primes, un tueur à gages.Et, les Dieux m'en soient témoins, j'étais talentueux. J'entassais les cadavres et l'or, me moquant des retombées. Là où d'autres craignaient la mort, ou finissaient abattus par leurs remords, j'esquivais les coups de la Faucheuse, et je dormais chaque nuit sur mes deux oreilles. Jusqu'à ce jour.

     C'était à une époque maintenant révolue, oubliée de tous, une époque où ce que vous appelez "légendes" étaient réelles. Ce soir-là, j'étais attablé dans une taverne, devant une bière et une miche de pain, attendant un client. Lorsqu'il vint, je compris instantanément que cette mission serait différente. Je l'avais reconnu au moment où il avait franchi la porte. Des collègues m'avaient parlé de cet homme, cherchant un chasseur prêt à se débarrasser d'un sorcier. Tous avaient refusé, sauf un. On ne l'avait jamais revu.

     Mon client m'expliqua la situation en détail. Ce sorcier possèderait la capacité de traverser le voile du temps. Mon client l'avait mis en colère, pour quelque obscure raison, et l'homme avait menacé de le tuer. J'avais tenté de lui expliquer que je ne tuais que les humains, que les mages, sorcières et autres légendes, ce n'était pas de mon ressort. Il m'avait rapidement fait taire en m'annonçant le montant de la prime. Évidemment, j'avais accepté le contrat. Il m'avait fait savoir que le sorcier se trouverait dans une forêt voisine, cette même nuit. Selon lui, c'est là qu'il serait le plus vulnérable. J'avais donc terminé ma bière, aiguisé ma dague, et je m'étais mis en route vers cette forêt, sans savoir que ce jour serait le dernier de ma vie.

     La lune était haute dans le ciel, et j'avais déjà trouvé le sorcier. Je le suivais discrètement depuis une bonne dizaine de minutes, le regardant marcher, s'arrêter par endroits, marmonner des mots que j'étais trop loin pour entendre. Lorsqu'il arriva au bout d'un chemin, il se retourna. Il semblait si fragile, à première vue... Un vieillard totalement aveugle, frêle, forcé de s'aider d'un bâton pour marcher. Une proie facile... Du moins je le pensais. Lorsqu'il tourna ses yeux laiteux vers le buisson où j'étais caché et qu'il annonça un "Tu peux sortir, assassin", je fus pris de surprise. Je sortis donc de ma cachette, et il continua. "Tu es ici pour me tuer, je le ressens. Tu n'aurais eu aucune chance, si mon heure n'était pas venue. Mais tous doivent disparaître un jour. Malheureusement pour toi, je ne me laisserai pas faire."

     Je me souviens avoir ri, à ce moment. J'accomplis toujours mon travail en silence, proprement et calmement. Mais cette fois j'avais ri. Et je n'aurais pas dû. Lorsque j'ai planté mon poignard dans son cœur, les mots du vieillard m'ont glacé le sang. "Tu seras donc ma dernière victime. Toi qui a mis fin à ma marche entre les époques, je te maudis. Je te condamne à marcher à ton tour, pour l'éternité. Plus jamais tu ne trouveras le repos. Tu ne seras libéré que lorsque la folie aura pris le dessus sur ton esprit."

     Et il en fut ainsi. Depuis ce jour, je ne cesse de marcher, sans jamais dormir, sans jamais pouvoir m'arrêter, ne serait-ce qu'une seconde. Des siècles ont passé, j'ai vu le monde changer autour de moi, et j'ai marché. J'ai traversé la terre, plusieurs fois, j'ai usé mes pieds jusqu'au sang, mais mon esprit résistait toujours. Je ne devenais pas fou. Et mon seul rêve était de perdre la tête, pour enfin m'offrir le luxe de mourir. Et je crois que c'est en train de se produire. Le Marcheur... Enfin, le Marcheur va mourir.

Le Second CarnetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant