Bonum Daemonium

Chapitre 3

La lettre est signée Boshaft Tradée. Je ne reconnais pas ce nom. Est-ce une personne que je connais ? Non je ne crois pas. La date présumée de la rentrée est pour le 1er septembre, on est le ..., elle est donc dépassée. De plus, je rentrerais d'après la lettre en 1ère année. Si à 16 ans on rentre en 1ère année, jusqu'à quelle âge dure la "formation" ? La liste des manuels parle de magie et de potion. C'est vraiment très étrange. C'est sûrement une mauvaise blague, même si j'ai l'impression -ou plutôt je veux avoir l'impression- qu'il y a quelque chose d'autre. Je regarde plus précisément l'enveloppe, sentant que quelque chose d'autre cloche. J'ai conscience qu'un élément m'échappe. Je prends l'enveloppe, à l'intérieur un petit point d'encre attire mon attention. J'ouvre la lettre de manière à avoir une sorte de feuille en décrochant le cachet de cire. Mis à part le fait qu'elle semble très vieille, rien n'a l'air bizarre. Le petit point attire toujours mon attention, à quelques centimètres de lui je vois une légère rayure sur le papier. Comme s'il y avait écrit quelque chose avec un stylo à encre invisible.

L'une des techniques d'encre invisible que je connais est l'encre à UV. Un bruit attira mon attention; Lou, une autre fille de mon orphelinat rentre dans sa chambre. Elle a un peu près le même âge que moi, mais trop différente alors on ne s'est jamais approchées. Il me semble qu'elle utilise une lampe UV pour faire sécher son vernis à ongles, ou quelque chose comme ça.

Je sors maladroitement de ma chambre, encore légèrement fatiguée. Je lève les yeux vers elle et croise son regard. Elle est toujours très bien habillée et coiffée à la perfection. Elle a un visage fin avec des lèvres charnues qu'elle maquille parfaitement. Elle a de grands yeux qui ne semblent pas contenir de secrets.

Elle me sourit,

《-Salut ! Tu vas bien ? dit-elle avec un ton très délicat. Je veux dire, tu vas mieux ? Je hoche la tête de façon presque imperceptible, elle semble comprendre car elle me sourit.

-Tu as toujours ta lampe à UV pour faire sécher le vernis ? Elle rigola légèrement.

-Oui, pourquoi ?

-Je me demandais si tu accepterais de me le prêter quelques minutes.

-Tu veux que je t'aide à mettre du vernis ?

-Non, non, ce n'est pas pour ça. Je veux juste l'utiliser pour révéler de l'encre à UV.

-Ha, d'accord ça me semblait bizarre aussi, venant de toi. Attends là, je te l'amène.

Il est plutôt léger. Elle sort de sa poche un câble USB.

-Pour le brancher. me dit-elle avec un clin d'oeil.》

De retour dans ma chambre après ce long périple, je branche la lampe sur la prise de mon bureau. Il grince comme pour exprimer son mécontentement. Je mets la feuille sous la lampe. Rien ne se passe. Je la laisse alors plus longtemps, toujours rien. Ce n'est sûrement pas ça.

Je m'effondre alors sur mon lit avec le bout de papier entre les mains. Suis-je folle au point de chercher des indices inexistants ? Mon téléphone vibre. Une notification pour me prévenir qu'il fera froid et humide s'affiche sur l'écran.

Je peux toujours faire des recherches sur internet. J'ouvre donc Gogole et tape pour commencer le nom de ce "directeur". Aucun résultat n'est intéressant. Je modifie ma recherche : "Message invisible". Je prends quelques informations sur plusieurs sites. Le jus de citron est assez répandu. Il faut donc une flamme pour faire apparaître le message.

Une flamme. Je ne sais pas si c'est très prudent. Je ne veux pas mettre quelqu'un en danger.

Je réfléchis pendant plusieurs heures. La meilleure solution est de demander à quelqu'un. Je pense à Maude, elle me comprendra le mieux. Je prévois de lui demander après le repas quand les petits seront couchés et que ceux de mon âge resteront dans leur chambre.

Il est 19h. Je rassemble mes cheveux pour en faire une tresse. Ils sont très épais, d'un noir de jaïs et bouclés. Le tout forme un nuage titanesque de boucles ruisselant sur mes épaules jusqu'en bas du dos. Avec la natte, je peux mettre une capuche sans paraître ridicule.

Je descends prudemment pour aller manger. On mange régulièrement à 19h. Les bras pleins d'assiettes, Maelle manque de me marcher dessus.

《-Désolée ma belle, je ne t'avais pas vue avec toutes ces assiettes devant les yeux.

Elle les pose sur la table et commence à mettre le couvert.

-Tu te sens mieux ?

-Ça va... Je me sens pleine d'énergie à certains moments mais complètement vidé à d'autres. Mais je commence à reprendre le dessus, ne t'inquiète pas.

-Tu peux manger avec nous ? Aujourd'hui c'est carotte, poireau et pomme de terre avec le bouillon ainsi qu'un steak haché.

-Avec plaisir, en plus j'ai très faim, mentis-je. On mange à quelle heure ?

-Dans moins de cinq minutes. Tu peux les appeler pour qu'ils viennent m'aider à finir ?》

Je me positionne au milieu de l'escalier et les appelle le plus fort que je peux. Je suppose qu'ils ont tous entendu car ma voix de corbeau a tendance à porter loin. Quelques secondes plus tard, une douzaine de têtes descendent de l'escalier. Quelques gamins montent aux escaliers supérieurs pour appeler les autres au cas où ils n'auraient pas entendu.

Lou passe près de moi et me sourit :

《-Tu penseras à me rendre ma lampe ? J'aimerais l'utiliser ce soir.

-Tu peux aller la chercher, elle est sur mon bureau.

Mais je pense à la lettre et à l'enveloppe mystérieuse.

-Ou plutôt attend, je vais le faire toute seule.》

Je trottine maladroitement jusqu'à ma chambre pour aller la chercher. Sur mon bureau, la lettre et l'enveloppe attendent sagement. J'attrape la lampe dans une main et fourre la lettre dans ma poche. Je lui rend la lampe et descend manger.