Affranchie Tome 2 : Restaurée

Chapitre 4

Après cet épisode je m'attendais à ce que mon père organise une sorte de rencontre officielle ou quelque chose comme ça mais rien ne se passait. Emmanuel m'expliqua que je devais être patiente car il se présenterait à moi au bon moment.

Il me dit souvent ça et j'avoue que ça a tendance à me frustrer car "le bon moment" n'est généralement pas celui auquel je m'attends et pourtant je dois avouer, en y repensant, qu'Emmanuel et mon père, ont toujours agis au moment où il le fallait même si cela me semblait souvent étrange.

Je prends alors mon mal en patience et tente de ne pas trop y penser. Je ne sais vraiment pas à quoi m'attendre...Quel genre de personne est-il  ? J'ai eu beau demander des informations à mes frères et sœurs, j'ai du mal à me l'imaginer. Il reste pour moi un mystère.

-Salut Jaël ça va ? Me demande Nicolas, un panier de cerises à la main.

Cet après-midi, nous sommes de cueillette. Chacun s'est choisi un arbre et nous essayons de récolter un maximum de fruits. Pour ma part, j'ai choisi un oranger.

-Salut, ça va et toi ?

-Ça va bien merci ! Sophia m'a dit que tu avais demandé à papa de rencontrer Oli !

-Oui, je me suis enfin décidée !

-Tu as fait le bon choix, personnellement aujourd'hui, je ne me verrais pas avancer sans lui !

Je m'arrête nette.

-Parce que tu l'as déjà rencontré ?

-Oui, le jour où le roi m'a adopté !

-Ah d'accord...Eh bien j'ai hâte de le connaître moi aussi alors !

Il me sourit avant de s'éloigner. Je mets un moment avant de digérer ses paroles...Comment se fait-il qu'il l'ait rencontré aussi tôt ? Pourquoi l'a-t-il rencontré avant moi alors que je suis ici depuis plus longtemps ? Quelque part, je trouve ça injuste...

-Si tu arraches les oranges avec une telle force, tu risques d'emporter la branche avec ! Me lance Emmanuel au pied de l'arbre. Je le regarde depuis le haut de l'escabeau. Je ne l'ai pas entendu arriver.

Je ne me suis pas rendue compte de ce que je faisais, je dois me calmer un peu. Après tout, cet arbre ne m'a rien fait.

-Tout va bien ? Demande-t-il.

-Ouais euh...Je me demandais juste  : quand est-ce que je pourrais rencontrer Oli ?

-Il viendra à ta rencontre quand ce sera le bon moment !

-Ouais...

En cueillant une orange, une autre tombe et se dirige tout droit dans sa direction, il l'attrape en plein vol.

-Bon réflexe ! M'exclamé-je.

Il rit.

-Tu sais Jaël, chaque fruit grandit en sa saison, certains ont besoin de plus de temps pour mûrir. Dit-il en agitant l'orange à moitié verte qu'il a attrapé.

-Eh bien, il faut croire que celle-là était pressée de partir !

-Pourtant quand on la regarde, on voit bien qu'elle n'est pas encore tout à fait mûre !

Je le regarde les sourcils froncés, ne comprenant pas vraiment où il veut en venir.

-Mais euh...J'ai fait attention à bien les choisir ne t'inquiète pas regarde ! Lui dis-je en lui montrant mon panier.

Il me sourit avant de continuer.

-Quand Oli viendra à ta rencontre, il t'expliquera ce que je suis en train de te dire. Lance-t-il en me faisant un clin d'œil avant de repartir, son orange à moitié mûre à la main.

Lorsque j'étais encore au foyer, il me parlait parfois de façon mystérieuse comme ça et je n'en comprenais le sens que bien après. A présent, j'ai vraiment du mal à le comprendre et ça m'embête parce que ce qu'il dit est important pour moi. Mais j'ai parfois l'impression qu'on ne parle pas la même langue...

J'ai hâte qu'Oli m'aide à comprendre tout ça ! En attendant je continue ma cueillette jusqu'à ce que mon panier déborde.

Une fois fini, je rapporte les fruits au palais, en peinant un peu tant je l'ai rempli. Je m'apprête à entrer dans les cuisines lorsque je trébuche : je n'ai pas vu l'obstacle devant moi.

Le serviteur qui s'amuse à dire du mal de moi ces derniers jours m'a fait un croche-pied ! Évidemment, il déguerpit en prenant soin de me voler quelques oranges et d'en écraser certaines...

J'entends les railleries de certains de mes frères et sœurs depuis les cuisines et tente de les ignorer tandis que des serviteurs m'aident à me relever et à ressembler les oranges qui me restent.

Je vais poser mon panier à côté de ceux des autres, qui me lancent des regards hautains, ne manquant pas de se vanter de leur récolte "plus abondante" avant de s'en aller.

Je ne comprends pas leur comportement...Au foyer, j'avais l'habitude de recevoir de telles remarques mais ça, c'était au foyer ! Ici ça devrait être différent non ? Au foyer nous étions meurtris, vides et seuls mais ici ce n'est plus le cas ! Comment se fait-il que mes frères et sœurs agissent ainsi ? Pourquoi cherchent-ils à entrer en rivalité avec moi ? Nous sommes censés être une famille et pour moi, ce comportement est à des années lumières de l'idée que je me faisais de la famille...

Je commence à me poser de plus en plus de questions...C'est comme si les débris de mon ancienne vie m'avaient poursuivi jusqu'ici. Les insultes de Mr.Dev, les regards méprisants, cet esprit de compétition...Je croyais que tout cela faisait parti du passé ! C'est pour ça que j'ai tant espéré cette liberté ! Parce que je pensais que plus jamais je n'aurais à subir tout ça !

Est-ce que je me serais trompée ?

Je regarde leur panier, plus rempli que le mien...Je passe pour quoi à côté ? Je me sentais déjà inférieure mais à présent c'est encore pire...

Je me laisse glisser contre le mur, énervée, déçue et triste. Pourquoi est-ce que ma nouvelle vie semble compliquée ? Je pensais me lever chaque jour dans la paix et vivre une vie sans problèmes, mais voilà qu'à présent ils refont surface et ne semblent pas vouloir me lâcher...

Suis-je vraiment faite pour cette vie-là ? De toute évidence je ne suis pas à la hauteur...

C'est peut-être pour ça que tout le monde semble être en avance sur moi...Peut-être qu'Oli ne veut pas me rencontrer et qu'Emmanuel ne sait pas comment me le dire...?

Les pensées dévalorisantes se bousculent dans ma tête : Tu es une erreur ! Tu ne vaux rien ! Tu es nulle ! Incapable ! Tu n'as pas ta place ici !

Je ne peux pas retenir mes larmes, je suis complètement découragée...

Alors que je renifle en constatant mes échecs, quelqu'un me tend un mouchoir.