Haniel et Alban

1.4K 102 22
                                    

 C'était un ami de mon frère. Haniel. Grand comme un homme fait. Solide comme une poutre. Il riait d'une voix puissante, exhibant ses dents blanches comme des perles. Des boucles noires comme l'ébène, trois anneaux à l'oreille gauche. Un dans le nez, brillant sur le bord de sa narine. Il était beau comme un Dieu.

Je m'étais fait la réflexion la première fois à douze ans. Il n'avait que deux ans de plus que moi, pourquoi faisait-il tellement plus ? Il était venu se baigner chez nous un après-midi d'un mois de juillet. Mon frère voulait que je les laisse tranquilles, j'avais râlé auprès de ma mère. Elle lui avait dit de me laisser rester avec eux, que je ne les gênerai pas. Il s'était déshabillé dans le jardin, jetant à tours de bras son tee-shirt et son short, puis courant en maillot de bain, il avait sauté dans la piscine.

C'avait été ma première érection. Aussi incongrue qu'incomprise. Ce fut un copain qui m'expliqua ce qu'il m'était arrivé. Je lui avouais du bout des lèvres que c'était un garçon qui m'avait mis dans cet état. Il avait ri, m'avait mis une grande claque dans le dos en riant plus fort encore.

« Ça arrive, me dit-il. On réagit parfois pour rien. Ou alors t'es pédé ! »

Et il avait ri encore plus fort. J'étais resté muet parce que je ne pouvais plus penser qu'à ça. Haniel je l'avais regardé si fort, ce n'était pas « rien ». Il ne pouvait pas être rien.

Je passais plusieurs années à le regarder de loin en sentant grandir en moi ce sentiment très précis ; ce désir qui prenait un nom ; le sien. Je le regardais de loin, je le regardais du coin de l'œil toujours, tâchant d'être discret. Je grandis en le regardant. Même quand il partit un an, fuyant vers l'étranger qui l'avait toujours attiré, lui qui venait de Cuba, son souvenir était indéfectible dans ma mémoire. Je grandis en l'attendant. Ma sexualité n'était plus un mystère. Sans être cachée, elle était discrète.


Avec le temps, avec les années, mon frère s'était fait d'autres amis. Il ramena d'autres copains à la maison. Aucun n'égalait Haniel. Je dus me faire une raison. Ce n'étaient pas les hommes, c'était lui. Si d'autres étaient beaux, ils n'étaient pas extraordinaires. Si d'autres souriaient, ils ne brillaient pas. Si je m'arrêtais parfois sur certains, ils ne me marquaient pas.


Mon frère lui-même déménagea et avec lui, l'espoir de revoir cet être tant rêvé depuis trop longtemps. Haniel n'avait aucune raison de revenir ici, me voir moi. Mais un matin la voiture de mon frère se gara dans l'allée devant la maison. Ma mère sourit, s'exclama avec joie en venant frapper ma cuisse avec force, tandis que je restais vautré devant la télé.

« Devine avec qui ton frère vient !

_ Parce qu'il vient, mon frère ? »

Je n'avais jamais vraiment été proche de lui, « mon frère ». Nôtre relation n'était que plus plate encore depuis qu'il était parti. Il revenait peut-être une fois par mois de la fac, restait le temps d'un repas puis repartait. Je ne savais rien de sa vie personnelle et m'imaginais qu'il venait avec une fille à présenter à maman.

« Haniel ! »

Il ne m'en fallut pas plus pour que je me relève d'un bond qui me fit tourner la tête. Ma mère l'adorait, ce garçon plein de vie, au sourire charmeur et aux bonnes manières. Elle se précipita sur la porte d'entrée et je restai immobile au milieu du salon. J'allais le revoir.

Il ne changeait pas. Immuable dans sa beauté. Dans sa façon de tirer sur ses boucles quand il réfléchissait. Son accent chantant qui semblait ne jamais vouloir le quitter. Son rire à tous bouts de phrases. Assis au centre de la table, ma mère le regardait avec amour, comme cet enfant qu'elle avait toujours accueilli chez elle, depuis tant d'années. Comme ce troisième fils. Je le regardais avec cette admiration, ce désir qui me brûlait les entrailles. Je le regardais avec cet amour qui me taraudait le cœur depuis trop longtemps. Et il me regardait.

Premières fois [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant