As & Aurélien. 1.

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« C'est la première fois. »

Être tatoueur, c'est être artiste. C'est travailler l'humain ; celui qui aime ça, l'impatient, celui qui a peur, celui qui va le regretter, celui qui découvre trop tard que c'est définitif, celui qui déteste mais qui est tout de suite prêt à y retourner, celui qui vient en bande, celui qui vient seul, celui qui va le cacher, celui qui est fier de l'exposer, celui qui pleure, vomit, rigole, est fasciné, ne veut pas regarder.

C'est être psychologue. C'est représenter la joie, l'amour, l'émotion de bons souvenirs, la peur, la douleur, la dépression, la mort et le deuil. C'est écouter les gens parler, raconter, revivre.

Être tatoueur, c'est beaucoup de choses. Et c'est souvent être une première fois.

Il est mon rendez-vous du lundi matin, 1er septembre, retour de vacances. Temps maussade sur la ville, la pluie bat le carreau du salon. Un café et deux tartines de Nutella, j'ai enfilé mes Docs, recoiffé ma tignasse rebelle avant de descendre la rue piétonne pour ouvrir « Narnia ».

« Le premier tatouage ? je demande.

_ Oui. Non. Oui, mais ce n'était pas... »

La phrase n'a pas de fin, et je n'en demande pas. Je farfouille dans ma pochette, étale mes différents plans et mes dessins pour mettre la main sur son stamp. Je l'examine une seconde avant de le lever au-dessus de ma tête, dos à lui.

« Donc on fait ça aujourd'hui ?

_ Oui. »

Me tournant sur mon tabouret, je lui désigne où poser ses affaires pendant que je prépare les miennes. Il a l'air un peu timide, il est maladroit. Son sac tombe trois fois, mollement, à ses pieds avant qu'enfin il n'arrive à l'accrocher à la patère. Je le regarde faire du coin de l'œil et une petite part de moi le trouve mignon. C'est cette réflexion qui me fait revenir à ce que je fais. Ce n'est pas le moment de divaguer.

« Vous avez mangé ce matin ?

_ Oui, de la brioche au Nutella. »

Tout est prêt pour moi, je m'approche du fauteuil en roulant sur le tabouret. Je lui adresse un sourire alors qu'il reste planté près de la porte.

« Un bon choix !

_ C'est parce que c'est mon anniversaire. »

Je l'observe de la tête aux pieds. Il est vraiment mignon, je me dis encore. Ses cheveux joliment ondulés, d'un blond cendré, deux yeux noisette, un petit nez mutin, un visage fin, à peine adulte. Il n'est pas bien grand, pas bien épais non plus. Il porte deux converses de couleur différente, détrempées par la pluie toutes les deux.

« Dix-huit ans ? je questionne en pensant ne pas prendre trop de risque. »

Il acquiesce en soupirant, comme pour se donner du courage. Il vient enfin s'asseoir sur le fauteuil, pose son bras sur l'accoudoir mais sans relever la manche de son sweat noir extra large.

J'attends. J'ai l'habitude de ceux qui doutent jusqu'à la fin, qui paraissent même regretter finalement. L'habitude de ceux qui ont besoin de temps, qui se font encore à l'idée. Ceux qui ont besoin d'être encouragés, rassurés.

« Tu es sûr que tu veux le faire ? »

Je ne suis pas pressé, la réouverture est toujours plus douce que le reste des semaines jusqu'aux prochaines vacances. Il est si jeune, si mignon. Ses yeux papillonnent sur ce qui l'entoure ; les affiches, les dessins au mur, les photos des autres clients avant lui, mes plus belles œuvres. Il regarde mes mains gantées, le matériel sur ma petite desserte en métal. Moi, je le regarde lui. Ses lèvres qu'il attaque du bout de ses dents, la mèche de ses cheveux qui lui tombe dans l'œil et lui accroche les cils, ses narines qui frémissent de sa respiration rapide. Parfois, le tutoiement aide ; l'impression d'être avec quelqu'un de proche, d'être en sécurité.

Premières fois [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant